Cette semaine, nous avons souhaité publier le très beau reportage sur l’Hôtel Littéraire Marcel Aymé de notre amie Sarah Sauquet, paru sur son blog Un Texte Un Jour :
De la traversée de Paris à la traversée de Montmartre : L’Hôtel Littéraire Marcel Aymé
« A cette époque de la crise du logement, Jardin avait eu la chance de recueillir plusieurs adresses qui méritaient de retenir son attention. » Marcel Aymé
Lettre 164 : Usbek à Rica,
A Paris
Mon cher Rica,
Plusieurs mois après mon séjour à Rouen à l’hôtel Gustave Flaubert, j’ai souhaité entreprendre un tour de France, périple auquel j’ai volontairement mis en fin après avoir découvert cette magnifique région qu’on appelle la Franche-Comté. Riche de mille et une légendes et d’un passé tumultueux, ce pays de cocagne, où les collines sont aussi vertes que le vin est d’or, est réputé pour ses hommes illustres, talentueux et industrieux, de Louis Pasteur à Victor Hugo en passant par Gustave Courbet ou le pape Calixte II, sûrement un grand magicien ! C’est lorsque je séjournais dans la ville de Dole, dont je tombais amoureux, que je fus contraint de rentrer toute affaire cessante à Paris.
Dévoré par le mal d’un pays que j’avais désormais fait mien, je cherchais par tous les moyens à prolonger le souvenir d’un séjour idyllique. Plongé dans la vaste littérature franc-comtoise, qui va de Louis Pergaud à Bernard Clavel en passant par Tristan Bernard, je découvris Marcel Aymé dont nombre de récits se déroulent à Dole et dont la singularité poétique, louvoyant sans cesse entre humour et fantastique, ne pouvait que parler à un épistolier exilé.
C’est donc aujourd’hui de l’hôtel Marcel Aymé que je t’écris, petit coin de paradis en blanc et gris niché au cœur de Montmartre, rue Tholozé, où Marcel Aymé, après son enfance franc-comtoise, a vécu la plus grande partie de sa vie.
Conteur-né, Marcel Aymé sait donner une voix aux plus humbles et aux oubliés, traquer l’impromptue fantaisie derrière la banalité, enchanter le quotidien tel un facétieux magicien, et son univers vaut toutes les surprises des Contes des Mille et une Nuits que tu connais. Avec lui, on ne sait jamais à quoi s’attendre, et lire Marcel Aymé revient à se perdre pour mieux se retrouver, et se reconnecter à la part d’enfance que nous laissons trop souvent enfouie. Chez Marcel Aymé, les chats déclenchent la pluie en passant la patte derrière l’oreille, un tranquille citadin se découvre un don extraordinaire, un paysan qui éprouve une aversion pour les reptiles tombe sous le charme d’une femme-serpents, et les enfants enfilent des bottes de sept lieues. Tu comprendras qu’il est impossible de ressortir indemne d’un tel hôtel !
Alors que Le Swann et Le Gustave Flaubert sont tout en longueur, l’hôtel Marcel Aymé est tout en verticalité, pareil à un perchoir d’où l’on domine tout Paris, pareil à une tour de Babel au sein de laquelle chaque étage aurait son propre langage, riche d’un univers propre. Ma chambre, celle qui a pour nom « Antoine Blondin », Hussard qui promettait qu’ « un jour, nous prendrons des trains qui partent », est une des plus belles de l’hôtel, et de ma fenêtre je peux voir tout Paris, où le ciel en ces jours gris offre un contraste magnifique avec les poutres claires. Mais, particularité intéressante, et encore si rare à Paris, l’hôtel propose aussi de véritables appartements, au sein desquels séjourner en famille. Pourquoi ne m’y rejoindrais-tu pas ?
Comme les autres Hôtels Littéraires, Marcel Aymé est organisé d’une façon bien spécifique, et chaque étage est, là encore, une véritable invitation au voyage. A peine arrivé dans l’hôtel, tu es accueilli par un superbe comptoir blanc, sur lequel le nom « Marcel Aymé » se détache dans une élégante typographie. Tu trouveras dans ce hall plusieurs rayonnages de bibliothèques, au sein desquels retrouver l’œuvre de Marcel Aymé, mais aussi des essais, et des œuvres de ses amis. Au rez-de-chaussée se trouvent ces fameux appartements, comme L’Atelier de Grandgil, mais aussi la salle du petit-déjeuner, où par touches facétieuses l’univers du franc-comtois se rappelle à nous. L’escalier rend ainsi hommage à deux des sœurs les plus célèbres de la littérature, Delphine et Marinette, et l’on trouve dans l’encadrement d’une fenêtre une sculpture de Marcel Aymé, que tu peux même voir de la rue. Toutes les chambres du rez-de-chaussée sont d’ailleurs consacrées à Montmartre. Ne manque surtout pas la chambre Le Passe-Muraille et l’incipit de cette nouvelle reproduite dans le hall. C’est lui, ce Dutilleul, aussi connu sous le nom de Garou Garou, qui passe à travers les murs ! Savais-tu d’ailleurs qu’une statue de ce passe-muraille, réalisée par Jean Marais, se trouve place Marcel Aymé non loin de l’hôtel ! C’est une étape incontournable à toute odyssée montmartroise !
Le premier étage est celui de Paris, consacré aux romans parisiens qui se veulent une véritable comédie humaine sous l’Occupation, chez les ouvriers comme les bourgeois. C’est l’étage des chambres Uranus, Travelingue (et non « Traveling » !), Le Bœuf clandestin (et non « Le Bœuf sur le toit » !). Marcel Aymé, qui a d’ailleurs exercé mille et un métiers, de balayeur à journaliste en passant par comptable, s’y révèle un fin observateur, articulant avec maestria destin collectif et destinées individuelles, entre lâcheté, médiocrité, courage et abnégation.
Le deuxième étage est consacré à la Franche-Comté, et le pied à peine posé par terre tu peux fermer les yeux et imaginer une jument verte galopant à travers les prés ou une mystérieuse créature hantant les rivières et dont la garde rapprochée ne serait constituée que de serpents. Chaque chambre, comme celle de La Jument verte ou de La Vouivre pour ne citer qu’elles, rend hommage à un univers bercé d’obscures croyances et de légendes dorées, à des personnages haut-en-couleur, aux prénoms singuliers (comme « Urbain » ou « Gustalin »…) transpirant l’amour de leur terre et s’exprimant dans une langue bien à eux.
Le troisième étage est celui des Contes du chat perché, du monde de l’enfance et d’un paradis perdu où animaux règnent en maîtres. Ici, les enfants, Delphine et Marinette, souvent livrées à elles-mêmes par des parents trop occupés à travailler la terre, ont fait des animaux leurs premiers confidents, et compagnons de jeux. Et il y en a pour tous les goûts, chaque chambre étant consacré à des animaux différents, comme Le Loup, Les Cygnes, Les Bœufs, ou La Patte du Chat. Le talent de l’aquarelliste Jean Aubertin fait ici merveille, et je rêverais de pouvoir te montrer les trésors iconographiques dont regorge l’hôtel, et tout particulièrement cet étage.
Le quatrième étage est celui du Réalisme magique. Il est ici question d’onirisme, de fantastique, d’irruption de l’irrationnel dans le quotidien, de don d’ubiquité ! Rien de rationnel ou presque à cet étage, il s’agit de se laisser gagner par l’absurde et la fantaisie. S’il est impossible de traverser les murs comme le fait Garou Garou, tu peux choisir ta chambre, en fonction du don que tu aimerais avoir. Tu voudrais avoir le don d’ubiquité ? Réserve la chambre Les Sabines ! Tu aimerais voir ce que cela fait d’avoir son temps d’existence rationné, comme à la manière des tickets sous l’Occupation ? Découvre la chambre La Carte ! Ici on joue avec le temps, les règles de la logique sont abolies, et une chambre au quatrième étage se mérite !
Le cinquième et dernier étage, enfin, celui où je dors, est celui des Amis de Marcel Aymé. Tu y trouveras six chambres, chacune promesse d’un voyage au bout de nuit particulières, parfois plus belles que nos jours. Il y a ainsi la chambre de l’inénarrable Louis-Ferdinand Céline, collaborateur notoire, voisin et sulfureux ami de Marcel Aymé, avec lequel les relations étaient complexes, pour ne pas dire compliquées. Vient ensuite la chambre Jean Anouilh, dramaturge de renom, comme Marcel Aymé (t’ai-je parlé de Clérambard ou Lucienne et le boucher ?) Deux hussards se suivent ensuite, puisque l’on trouve les chambres Roger Nimier, écrivain touche-à-tout, tragiquement disparu, et Antoine Blondin sur lequel Marcel Aymé veillait discrètement. Vient ensuite la chambre Pierre Mac Orlan, écrivain prolifique qui vécut à Montmartre, et pour finir celle de Kléber Haedens, critique littéraire de premier ordre, injustement oublié de nos contemporains. Je ne peux donc que me réjouir d’un tel hommage !
Mon cher Rica, à défaut de prendre un train pour la Franche-Comté, j’espère t’avoir convaincu de me rejoindre à Paris, dans ce village à la magie intemporelle qu’est Montmartre ! Peut-être pourras-tu, comme moi, dormir à l’hôtel Marcel Aymé, et qui sait, peut-être acquérir le don d’ubiquité ? Tu y découvriras au moins un incroyable écrivain, parfois mal aimé par la critique, mais mâle aimé de son public !
De Paris, le 29 de la lune de Maharram, 2018
Sarah Sauquet
www.untexteunjour.fr