La quatrième édition du prix Céleste Albaret a eu lieu le 12 septembre dernier à l’Hôtel Littéraire Le Swann. La lauréate 2018 était Evelyne Bloch-Dano pour son livre « Une jeunesse de Marcel Proust » aux éditions Stock.
Une enquête passionnante pour tout savoir sur le célèbre “questionnaire de Proust”, un jeu de société venu d’Angleterre en vogue à l’adolescence de l’écrivain et auquel il répondit à plusieurs reprises. Grâce aux recherches d’Evelyne Bloch-Dano, on peut mieux comprendre la jeunesse de Marcel Proust et de ses amis à la Belle Epoque.
Un autre événement majeur avait lieu ce soir-là : la première présentation au public du troisième questionnaire de Proust découvert cette année. Le Dr Reiner Speck, président de l’association allemande des amis de Proust, la Marcel Proust Gesellshaft, en a fait l’acquisition. Il a accepté de l’apporter au Swann où le précieux document est exposé en vitrine.
Voici son discours, traduit par le professeur Jürgen Ritte, membre du jury :
“Chère Madame Bloch-Dano,
Cher Monsieur Letertre,
Mesdames et Messieurs les membres du jury,
Chers Proustiens,
C’est un insigne honneur pour moi d’être parmi vous ce soir et de pouvoir vous présenter personnellement à l’occasion de la remise du Prix Céleste Albaret à Madame Evelyne Bloch-Dano la dernière acquisition pour ma bibliothèque proustienne.
Si l’on peut s’estimer heureux de joindre le cercle très restreint de ceux qui – ne serait-ce que temporairement – étaient propriétaires d’un des deux célèbres questionnaires de Proust (comme André Berge ou Edouard Waterman, alias Wassermann, ou encore la Société Gérard Darel), ce sentiment de bonheur se mêle dès le moment de l’acquisition d’un sentiment plus ambivalent, celui d’une certaine responsabilité devant le public ou tout au moins devant un public littéraire et tout particulièrement devant les lecteurs, les lectrices et les spécialistes de l’œuvre de Marcel Proust – dont une sera distinguée ce soir.
Car, comme le dit une fameuse publicité pour une non moins fameuse marque de montres suisses : « Une Patek ne vous appartient jamais tout seul », j’ai le sentiment de me trouver dans une situation analogue à l’égard du questionnaire récemment retrouvé.
Après l’acquittement d’un prix assez considérable, le questionnaire, telle une prisonnière jalousement cachée, a d’abord disparu dans ma Biblioteca Proustiana avant d’être présenté ce soir pour la première fois en public, devant un public, Mesdames, Messieurs, qu’on ne pourrait imaginer plus digne. Vous jouissez donc d’un véritable ius primae noctis.
Vous jetterez sans doute un premier coup d’œil sur cet autographe jusqu’alors inconnu dans un esprit de découverte, de curiosité, mais peut-être disposez-vous déjà des informations que Jean-Yves Tadié nous a données dans la petite brochure publiée par la Librairie Laurent Coulet à l’occasion de la vente du questionnaire. Et très certainement vous n’ignorez rien des recherches si considérables, rien du savoir accumulé par Madame Bloch-Dano sur les autres questionnaires.
Le fait qu’il s’agit d’un questionnaire jusqu’alors inconnu, d’un questionnaire dans lequel Proust, contrairement aux deux autres questionnaires, a répondu à toutes les questions et qu’il nous révèle donc du nouveau, des éléments dont on retrouvera peut-être trace dans son œuvre ultérieure, prive les enquêtes sur les questionnaires jusqu’alors menées, enquêtes qui marquent pourtant un point culminant dans la recherche biographique, le fait donc de la découverte tardive prive ces enquêtes d’un dernier chapitre qui nécessitera d’autres recherches intenses. Nous voilà donc une nouvelle fois confrontés à cette « écriture sans fin » qui est celle de Proust.
Jürgen Ritte, Vice-président et cofondateur de la Société Marcel Proust allemande, la « Marcel Proust Gesellschaft », a fait un premier pas en traduisant le questionnaire en allemand. Cette version a été présentée une première fois sous forme de dialogue lors de la traditionnelle Matinée de proustiens allemands, le 1er juillet passé. Et un deuxième pas sera fait en novembre prochain, le 18 pour être précis, date de l’inauguration d’une exposition importante organisé dans les murs de la Biblioteca Proustiana Reiner Speck, à Cologne. On y présentera de nombreux documents, livres, lettres et manuscrits illustrant l’histoire et la conception de ce jeu de société qui nous est venu d’Angleterre, et on mettra l’accent, bien entendu sur ce troisième questionnaire (dans l’ordre de la découverte) qui est sans doute le premier que Proust a renseigné.
Vous voyez, inspirées par cette nouvelle découverte et par le livre à l’honneur ce soir, ce livre magnifique de Madame Bloch-Dano qui sera sans aucun doute l’œuvre de référence le plus souvent citée en la matière, les recherches sur le questionnaire vont déjà bon train.
J’ai retenu une anecdote fort touchante dans le livre de Madame Bloch-Dano : lorsque l’autre questionnaire, celui que Madame Bloch-Dano a exploré sous tous les angles, allait être exposé dans une vitrine fermée à clé au Grand-Hôtel de Cabourg à l’occasion d’une rencontre de proustiens, le directeur de l’hôtel fit venir Mme Bloch-Dano et ouvrit dans une pièce à part son coffre-fort pour qu’elle puisse toucher l’objet de ses recherches si passionnées et passionnantes.
Cette histoire me servira de guide : je n’enfermerai pas l’original du questionnaire dans le coffre-fort de l’Hôtel Littéraire Le Swann, mais je l’emmènerai après minuit dans ma chambre. Celles et ceux qui voudraient me suivre seront obligés de signer un papier faisant preuve de leur visite et d’y consigner la phrase suivante : « et ego in arcadiam ». En latin, cela fait mieux qu’en anglais, car : et ego = metoo …”
Philippe Berthier, lauréat du prix Céleste Albaret en 2017 pour son remarquable “Charlus” aux éditions de Fallois a ensuite expliqué le choix du jury et présenté son analyse du livre d’Evelyne Bloch-Dano. Evelyne Bloch-Dano a remercié le jury pour son prix et nous a livré de savoureuses anecdotes autour de son livre.
“Bonsoir à tous,
Et merci d’être venus dans ce bel hôtel littéraire consacré à Marcel Proust. C’est très impressionnant, émouvant, je reconnais des visages qui appartiennent à toutes les époques de ma vie…de mes années de lycée à aujourd’hui. J’ai une pensée spéciale pour ma vieille amie Denise, qui nous a quittés en décembre dernier à 97 ans, mais a été présente tout au long de l’écriture du livre. Et j’en profite pour saluer tous ceux que je ne connais pas mais aussi les auteurs sélectionnés en même temps que moi, qui ont eu la gentillesse de venir aujourd’hui.
Je voudrais remercier de tout cœur le jury pour deux raisons :
- La 1ère, c’est d’avoir proposé de différer la remise du Prix, initialement prévue en juin, alors que je me trouvais en Sicile. Mais avec ce beau temps, nous pouvons encore avoir l’illusion d’être en juin et d’avoir les vacances devant nous.
- La 2ème: le Prix lui-même, bien sûr. Les écrivains sont souvent restés des enfants qui ont besoin d’être encouragés. Je l’ai observé aussi bien en tant que membre de jury, qu’en tant que lauréate. Personnellement, je redeviens la petite fille qui, le jour de la distribution des Prix montait sur l’estrade dans le préau de l’école communale du bd Pereire et embrassait le maire du 17e arrondissement, ceint de son écharpe. On chantait la Marseillaise, et on repartait avec une pile de livres. Aujourd’hui, on chante la Marseillaise dans les stades de foot, et on repart avec une coupe, c’est bien aussi.
Marcel Proust, c’est un peu notre Tour Eiffel littéraire ; tout le monde le connaît, il incarne la France à l’étranger, on l’admire de loin, mais combien sont montés jusqu’en haut par les escaliers, autrement dit, combien l’ont véritablement lu ? Ne vous inquiétez pas, c’est une question purement rhétorique. Mais je vous conseille d’essayer. On est parfois un peu essoufflé, il faut faire des pauses, mais de là-haut, la vue est belle, je vous assure.
Certains livres s’écrivent tout seuls, comme sous hypnose. Pour moi, ce fut le cas avec Porte de Champerret et Jardins de papier. On s’aperçoit à peine qu’on est en train de travailler. Je viens de recevoir un livre de Marc Dugain, intitulé Intérieur Jour. Il parle d’« un élan qui ressemble à une fuite du réel comme s’il fallait le configurer à ma façon pour me le rendre vivable. » Mais avec Une jeunesse de Marcel Proust, tout fut difficile, et c’est probablement ce qui explique aussi que je sois si heureuse de ce Prix. Il s’est écoulé 10 ans entre le moment où j’ai vu pour la 1ère fois l’album d’Antoinette Faure, et la publication de mon livre. 7 ans pour accéder au document, 3 ans de travail intense pour l’écrire. Mais dès l’instant où j’ai vu l’album, j’ai su que j’allais faire ce livre. C’était au Grand Hôtel de Cabourg. Je suis décidément vouée aux hôtels !
Céleste Albaret avait 22 ans quand elle est entrée au service de Marcel Proust, soit à peine quelques années de plus que les jeunes gens qui ont répondu aux questions. (Elle avait 20 ans d’écart avec Marcel Proust). Puisque cette soirée est consacrée aux questionnaires je me suis amusée, en guise de conclusion, à répondre à quelques questions à sa place :
« Votre qualité préférée : le dévouement
Votre occupation favorite : coller les paperoles de Monsieur Proust
Votre principale qualité : la fidélité, la mémoire
Votre idée du bonheur : préparer éternellement le café au lait de Monsieur
Si vous n’aviez pas été vous-même qui auriez-vous aimé être ? Sa maman, bien sûr. Hélas, la place était déjà prise…
Votre musicien préféré : Maurice Ravel
Votre écrivain préféré : Ai-je besoin de vous le dire ?”
Evelyne Bloch-Dano