Lauréat du prix Céleste Albaret 2019 pour son “Proust, prix Goncourt” aux éditions Gallimard, Thierry Laget a bien voulu répondre à nos questions pour nous aider à mieux connaître son livre et son auteur.
Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre et de vous lancer dans cette aventure éditoriale avec Gallimard ?
C’est Jean-Yves Tadié, le grand spécialiste de Proust et éditeur chez Gallimard, qui s’est souvenu que, il y a quarante ans, j’avais rédigé sous sa direction un mémoire de maîtrise intitulé « L’attribution du prix Goncourt à Marcel Proust » et qui m’a demandé de le reprendre pour le centenaire de ce prix Goncourt. Ce premier travail universitaire ne pouvait être publié tel quel : bien des documents que je ne connaissais pas à l’époque sont devenus accessibles, des archives se sont ouvertes, mes exigences stylistiques ne sont plus tout à fait les mêmes et je ne voulais pas écrire une thèse. J’ai donc repris tout le travail accompli naguère, l’ai prolongé dans toutes les directions et ai écrit, à ma façon, le récit de cet événement considérable pour l’histoire de la littérature du XXe siècle.
Quels aspects de cet événement littéraire historique avez-vous choisi de mettre en avant pour raconter l’histoire du prix Goncourt de Marcel Proust ?
Je me suis demandé qui étaient les hommes qui avaient couronné À l’ombre des jeunes filles en fleurs, et j’ai découvert des personnalités, oubliées pour la plupart, mais toutes très attachantes. J’ai voulu reconstituer l’ambiance de l’époque, les tractations, les manœuvres, les coulisses. Je suis allé jusqu’à imaginer — en m’appuyant sur des documents irréfutables — de quoi avaient parlé les académiciens Goncourt lors du déjeuner du 10 décembre 1919 chez Drouant. Je suis entré dans la chambre de Proust, pour observer sa réaction à l’annonce du prix. Mais j’ai surtout voulu raconter celle de la presse et de l’opinion publique à ce qui a été ressenti comme une injustice : le couronnement de l’œuvre d’un homme qui n’avait pas fait la guerre. Et, là, j’ai assisté à une bataille homérique entre les défenseurs de Proust et ceux qui l’attaquaient très violemment.
Vous attendiez-vous à un tel succès ? Outre le prix Céleste Albaret, Proust, prix Goncourt est finaliste du Goncourt de la biographie 2019 et figure dans la sélection de printemps du jury Renaudot.
Je suis le premier surpris. Je n’imaginais pas que l’accueil serait aussi chaleureux : on me dit que mon livre peut intéresser même ceux qui n’ont jamais ouvert À la recherche du temps perdu, qu’il se lit comme un polar, qu’on y rit beaucoup : c’est peut-être que je me suis beaucoup amusé en l’écrivant, en retournant en quelque sorte à mes amours de jeunesse ! Mais je crois surtout que je bénéficie de l’extraordinaire pouvoir d’attraction de la comète proustienne, qui entraîne dans son sillage tout ce qui gravite autour d’elle.
Vous êtes romancier et vous avez déjà écrit d’autres ouvrages, pourriez-vous nous en présenter quelques uns ?
J’ai publié des ouvrages très divers : un livre sur la ville de Florence (Florentiana), une biographie de Stendhal en cinquante-trois journées (Portraits de Stendhal), une évocation des Macchiaioli, ces merveilleux peintres préimpressionnistes toscans, autour de la figure d’Alaïde Banti (La Fiancée italienne), quelques nouvelles, des romans eux aussi très italiens ou comme, avec Iris, assez auvergnats. Mon dernier roman, La Lanterne d’Aristote (Gallimard, 2011), raconte l’histoire d’un homme qui est engagé par une comtesse pour classer la bibliothèque de son château et à qui il arrive des aventures — amoureuses, financières, criminelles, gothiques — qui semblent jaillir des pages des livres qu’il manipule.
Par ailleurs, vous êtes le président de l’association des Amis de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier, pourriez-vous nous raconter l’histoire de cette association et vos projets à venir ?
L’association des Amis de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier, créée en 1975 par Alain Rivière, le fils de Jacques Rivière et le neveu d’Alain-Fournier, s’est donné pour mission de diffuser l’œuvre de ces deux écrivains qui ont marqué leur temps, le premier, qui fut un immense critique, en dirigeant La Nouvelle Revue française de 1919 à 1925, le second avec un seul mais inoubliable roman, Le Grand Meaulnes. L’association publie un Cahier annuel, riche d’études, d’inédits, de correspondances, elle organise des colloques, des expositions. Nous développons notre activité sur internet, grâce à la numérisation d’un exceptionnel fonds de manuscrits conservé à la médiathèque de Bourges.
https://www.association-jacques-riviere-alain-fournier.com/
Et voici son discours – désopilant- prononcé à la réception du prix Céleste Albaret :
Vous ne pouvez savoir à quel point je suis heureux de recevoir le prix Céleste Albaret. J’allais dire : enfin ! Car, si je suis devenu spécialiste des manœuvres qui permettent d’obtenir un prix Goncourt, je n’ai pas voulu dévoyer cette science pour mon intérêt personnel, si bien que mes romans n’ont pas été très souvent couronnés et que jamais, en tout cas, on ne m’a donné la permission de m’adresser à une assemblée aussi brillante – je me serais d’ailleurs contenté d’un auditoire moins distingué, voire d’un public indifférent, sinon d’une foule hostile.
Pourtant, depuis des décennies, je conservais dans mon portefeuille le texte d’une allocution que j’avais rédigée pour ne pas être pris au dépourvu au cas où, brusquement, sans crier gare, on m’aurait décerné un prix littéraire, et où l’on aurait attendu de moi que je réponde, par des remerciements circonstanciés, à un compliment tel celui, très aimable et si joliment tourné par Évelyne Bloch-Dano, que vient de lire Laure Hillerin. Je l’avais intitulée — un peu pompeusement, je le reconnais — « Discours de Stockholm ». Ce discours n’a toujours pas servi, mais, rassurez-vous, ce n’est pas ce soir que je le déclamerai, car il est un devoir bien plus urgent à remplir : celui de remercier le jury qui a choisi mon livre — je ne sais comment il a fait, j’aurais été bien embarrassé d’avoir à choisir entre tous ces ouvrages, et il faut imaginer qu’il a tiré à la courte paille —, de remercier le bel hôtel Le Swann qui nous accueille, le président de la Société des hôtels littéraires, Jacques Letertre, la librairie Fontaine Haussmann et Philippe Aubier.
Mais il est quelqu’un, surtout, à qui je veux exprimer ma gratitude : tous les proustiens et, plus largement, tous ceux qui aiment la littérature, savent ce qu’ils doivent à Jean-Yves Tadié, et qui est considérable. Aucun, pourtant, je crois, ne lui doit plus que moi, car il me faut vous avouer qu’il a très souvent été l’agent mystérieux qui m’a fait prendre les bonnes décisions, procuré du travail, engagé à écrire certains livres ou à accomplir bien d’autres prouesses. Or, sans lui, le livre qui reçoit cette année le prix Céleste Albaret n’aurait pas vu le jour : c’est lui qui en a eu l’idée ; c’est lui qui, éditeur chez Gallimard, a eu celle de me demander de l’écrire ; car c’est lui, il y a quarante ans, qui avait dirigé le mémoire de maîtrise que j’avais rédigé sur le même sujet.
Et je voudrais enfin remercier Céleste Albaret, qui a laissé de Proust le portrait le plus vivant, auquel tout biographe de l’auteur de la Recherche doit se reporter. Si, pour écrire mon livre, j’ai dépouillé la presse de l’époque, épluché des correspondances inédites, recueilli des témoignages extérieurs, elle a été mon espionne à l’intérieur de l’appartement de la rue Hamelin : c’est elle qui m’a permis de savoir comment celui qu’elle appelait son maître — et qui est aussi le nôtre — a réagi à l’annonce d’un prix qui me vaut aujourd’hui l’honneur de recevoir celui qui porte le nom de sa servante.
Thierry Laget
Jean-Yves Tadié