“Un soir chez la princesse Mathilde, une Bonaparte et les Arts” : ainsi s’intitule l’exposition organisée au Palais Fesch d’Ajaccio jusqu’au 30 septembre 2019 en hommage à celle qui fut la nièce de Napoléon Ier et du tsar de Russie.
En mettant à l’honneur la cousine de Napoléon III, l’idée est aussi de retracer l’histoire du goût sous le Second Empire et la IIIe République en réunissant des œuvres et des objets ayant appartenu à la princesse Mathilde et d’autres tableaux ou sculptures témoignant des multiples talents d’une époque éclectique.
250 œuvres d’art sont ainsi rassemblées avec le désir de faire parcourir l’exposition “comme si on lisait un roman”, selon Philippe Costamagna, directeur du Musée et commissaire de l’exposition. Sous cet angle, on ne pouvait mieux choisir qu’une salle Marcel Proust pour ouvrir l’exposition ; Jean-Yves Tadié retrace leurs relations dans le catalogue de l’exposition.
Proust écrivit un article dans le Figaro du 25 février 1903, publié un an avant la mort de la princesse Mathilde, dans lequel il restitue la saveur des soirées historiques dans le célèbre salon de la rue de Berri qu’il fréquenta assidûment. Pour lui, “le nom de la princesse reste gravé sur les tables d’or de la littérature française” ; elle est celle qui réunit autour d’elle Flaubert et Théophile Gautier, Taine et Renan, Sainte-Beuve et Musset, Tourgueniev et Maupassant, sans oublier les frères Goncourt – qu’elle surnommait ses bichons – qui ont relaté ces soirées dans leur Journal.
Proust évoque la princesse dans une scène d’À l’ombre des Jeunes filles en fleurs où le narrateur se promène au Jardin d’Acclimatation avec Monsieur et Madame Swann, à savoir Charles et Odette. Il conte quelques anecdotes historiques et il ajoute : « la princesse eut pour nous tous un divin sourire qu’elle sembla amener du passé, des grâces de sa jeunesse, des soirées de Compiègne et qui coula intact et doux sur le visage tout à l’heure grognon ». Jean-Yves Tadié trouve alors cette belle formule : « Autant que Léonard, Proust est le peintre des sourires, qui ne sont jamais aussi beaux que lorsqu’ils viennent du passé. »
Selon Adrien Goetz dans son excellent article consacré à Mathilde Bonaparte et à l’exposition, Proust a compris le premier qu’elle était “un personnage de fiction, une véritable création littéraire” et l’imagine sous diverses figures romanesques telles que Madame Verdurin, la duchesse d’Iéna, la reine de Naples ou la princesse de Luxembourg.
Edouard Dubufe. Portrait de Laetitia Wilhelmine Bonaparte, dite la princesse Mathilde, 1861 – Huile sur toile 240×155 cm Versailles, musée national du Château (dépôt du musée d’Orsay)
Tous ne furent pas aussi fidèles que Proust à la mémoire de la Princesse. Adrien Goetz rapporte ce mot cruel d’Edmond de Goncourt à Léon Daudet, lequel se plaignait des splendeurs disparues de ce salon lorsqu’il le fréquenta à son tour :
« Que veux-tu, mon petit, tu vois ça trop tard. C’est un très vieux bateau. Les rats s’en vont. »
Quant à Gustave Flaubert, on sait qu’il fut un grand ami de Mathilde, régulièrement invité dans son salon de la rue de Courcelles puis de la rue de Berri. Ils entretinrent une correspondance régulière et la Princesse, peintre à ses heures, fit une aquarelle de Salammbô dont Flaubert lui faisait la lecture de sa voix tonitruante.
“Elle fait de la jeune princesse carthaginoise, au pur profil, une figure apaisée, loin des tourments qu’éprouve, dans le roman, la fille de Tanit.”
Mathilde Bonaparte, Salammbô – 1890.
Aquarelle 38.5×26.5 cm. Dédicacé “En souvenir du docteur Marchand” Collection particulière.
L’exposition du Palais Fesch arrive à reconstituer fidèlement l’atelier de peintre de Mathilde, abondamment décrit dans le Journal des Goncourt, son jardin d’hiver, sa collection de tableaux, riche en peintres orientalistes, en scènes de genre et en portraits – mais refusant obstinément les impressionnistes, ainsi que de nombreux objets d’époque, des riches costumes et des bijoux.
La princesse impériale fut une grande amie pour les écrivains et les artistes, dont Flaubert puis Proust comptèrent parmi les plus brillants représentants. Tous deux surent apprécier Mathilde et rendre hommage à celle que Sainte-Beuve surnommait très justement “Notre-Dame des Arts”, comme cette exposition le fait brillamment à son tour.
Eugène Giraud, Gustave Flaubert (1821- 1880) après 1867
Huile sur toile, 55×45.5 cm Versailles, musée national du château.
Hélène Montjean
Quelques lectures utiles :
– Philippe Costamagna, Histoires d’œils, (Grasset, 2016)
– Jean des Cars, La princesse Mathilde (Perrin, 2006)
– Anne Martin-Fugier, Les salons de la IIIe République (Perrin, 2003)