Le 14 novembre dernier, l’association des Amis de Max Jacob et sa présidente Patricia Sustrac organisaient au Swann une soirée hommage au poète.
L’occasion était une donation exceptionnelle de manuscrits à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet et à sa directrice Isabelle Diu, à savoir le tapuscrit original de Conseils à un jeune poète (Gallimard, 1945) & un ensemble considérable de lettres reçues par Max Jacob entre 1909 et 1945 (Collection Marie-Noelle Prieur-Floch).
Voici le discours prononcé par Patricia Sustrac, infatigable présidente des Amis de Max Jacob, à l’origine de la donation :
“L’Association des Amis de Max Jacob s’est engagée depuis 2005 dans une démarche de protection et de valorisation du patrimoine jacobien. Elle s’est investie auprès des collectionneurs privés afin de les aider à mieux connaître, à protéger, à valoriser et parfois à vendre leur collection. Grandes ou petites, les documents et archives qu’elles contiennent constituent des documents précieux qu’il nous incombe de protéger : inventaire scientifique, campagne photographique et de numérisation, restauration, protection et aide à la conservation, Francis Deguily, conservateur et ancien directeur de la Bibliothèque d’Orléans, m’accompagne dans ces actions.
Notre association a déjà accompli 20 campagnes de recensement qui abondent expositions ou publications. On peut citer par exemple l’Album Breton de la collection Zunz qui a été inséré en partie dans le Quarto/Gallimard ou la collection de livres illustrés en 1943 par Max Jacob offerts à Jacques Warnant, son dernier ami de cœur, qui a constitué une vitrine fort belle dans l’exposition de 2014 au Musée des Beaux-Arts d’Orléans. Bien entendu, Les Cahiers Max Jacob bénéficient de ces archives inédites.
Ces campagnes se prolongent aussi par des donations. Parmi celles-ci, je veux rappeler la donation généreuse de la famille d’André Sauvage en 2012 à la Médiathèque d’Orléans qui ne compte pas moins de 120 numéros à l’inventaire : livres, photos, manuscrits, textes inédits, dessins ont enrichi le fonds de la collection ligérienne. Aujourd’hui, c’est avec un grand plaisir que je vais remettre à Mme Diu, Directrice de la Bibliothèque Doucet, notre 7e donation à une collection publique.
Nous remettrons d’abord le tapuscrit rarissime intitulé Candida pour un candidat qui deviendra à parution posthume Conseils à un jeune poète en 1945 chez Gallimard. Il m’a semblé essentiel que ce tapuscrit qu’aucune autre collection publique ne possède, soit conservé par la bibliothèque du mécène Jacques Doucet dont l’action a été fondamentale pour la publication du Cornet à dés en 1917. Candida est 24 années plus tard le prolongement de la célèbre préface du Cornet. Ce court traité d’esthétique revient sur les notions de style, de situation, de création et fixe la conception du rôle de la littérature et de la mission du poète. Pour Jacob, il existe une grammaire secrète du monde, le poète est un prophète dont le rôle est d’en déchiffrer les hiéroglyphes ; écrire c’est dévoiler un texte-monde, une œuvre-monde par le jeu du langage que Jacob conçoit comme Claudel et Saint-Pol Roux en tant qu’énergie créatrice. Pour Jacob, la poésie – comme la peinture d’ailleurs – dont la racine graphein désigne tout autant écrire que dessiner – révèle la puissance d’être des choses.
Candida est un des plus beaux textes d’esthétique de Max Jacob. Rédigé en 1941, il est destiné à éclairer un jeune étudiant montargois aspirant à l’internat – Jacques Evrard – le titre évoque la toga virilis candida : toge d’un blanc éclatant blanchie à la craie portée par les candidats à une fonction élective. Le manuscrit original n’est toujours pas localisé. Le tapuscrit que nous remettons – sans aucun doute dactylographié par Marcel Béalu -, est l’un des 5 exemplaires mentionnés dans les épistolaires des récipiendaires de copies mais qui n’ont pas été retrouvés. Le tapuscrit que nous allons remettre ce soir à Doucet est donc le seul à être connu. Il appartenait à Jean-François Lefèvre Pontalis qui rendit visite à Max Jacob du 19 au 21 décembre 1942, est-ce à ce moment-là que ce tapuscrit lui a été offert ? On ne sait encore.
La deuxième donation de cette soirée est constituée de 182 lettres reçues par Max Jacob représentant 127 scripteurs et couvrant la période 1909-1937. Cette donation enrichira considérablement le fonds de Doucet, seul fond public à conserver des lettres reçues par l’auteur. Elle portera à 579 lettres reçues par lui le nombre de lettres connues et inventoriées. Ces lettres permettront de mesurer le champ de sociabilité de l’auteur et de compléter des épistolaires déjà publiés : Jean Paulhan, Jean Cassou, Raymond Queneau, Jean Cocteau, René Lacôte, Roger Lannes, André Salmon… et de découvrir des expéditeurs inattendus comme Pierre Reverdy, Louis-Ferdinand Céline, Vittorio Rieti, Louis Massignon ou Elie Lascaux. Mais surtout cette donation permettra de mesurer 28 années d’élan d’amitié qui propulsait cet épistolier compulsif que fut Max Jacob, les réponses de ses correspondants sont de même encre.
Je veux remercier M. Prieur, ses enfants et sa petite-fille d’avoir fait le choix de cette donation, leur générosité bienveillante a été tout au long du récolement et des inventaires un soutien précieux. Je veux remercier aussi chaleureusement M. Bilhouet, ayant droit de Jean-François Pontalis, dédicataire d’un exemplaire de Candida. Je veux aussi remercier Mme Marie-Claude Char qui a été la messagère de la donation de ce document rarissime.
Les chercheurs auront donc en un seul lieu deux ensembles exceptionnels, d’une part un des manuels pédagogiques les plus célèbres de Jacob, et de l’autre les lettres reçues par lui pour en mesurer les effets et les variations depuis la préface du Cornet et d’Art poétique. Ces deux archives vont donc de pair, elles se font écho dans une construction de formes et d’effets dès lors : « […] on aurait en tout cas bien tort de se les figurer inertes, poussiéreuses ou lassantes. C’est tout le contraire, et quiconque, consultant ces documents, ouvrant leur boîte puis tirant de celle-ci une enveloppe ou une chemise, le sentira : entre ses mains et sous ses yeux une trace de vie s’éveillera[1] », celle de Max Jacob qui souhaitait « créer une école de vie intérieure et écrire sur la porte école d’art. »”
Patricia Sustrac
Présidente des Amis de Max Jacob
[1] Jean-Christophe Bailly, L’Ineffacé, Caen : IMEC éditions, coll. « le lieu de l’archive », 2016.
Lettre d’Elie Lascaux à Max Jacob
Isabelle Diu, présidente de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, lui a répondu en ces termes :
“L’ensemble consacré à Max Jacob dans les fonds de la BLJD est l’un des plus significatifs qui soit. Son origine remonte à la fondation même de la bibliothèque par Jacques Doucet : le grand collectionneur a commencé, sous l’impulsion de son ami André Suarès qui lui en souffle l’idée en 1913, à rassembler une bibliothèque littéraire placée sous le signe de la modernité. Loin des panthéons littéraires reçus, le couturier se procure manuscrits et éditions originales des écrivains qui marquent le passage à la modernité littéraire : depuis Baudelaire, Verlaine et Rimbaud, puis les symbolistes, jusqu’aux écrivains de « l’esprit nouveau » dont Apollinaire proclame l’avènement dans une conférence restée célèbre, les poètes et prosateurs qui entrent les premiers dans la bibliothèque de Doucet marquent dans leur œuvre une rupture radicale avec la conception mimétique de la littérature qui prévalait jusqu’au milieu du XIXe s. ; désormais, les thématiques modernes (la ville, son univers sonore et visuel, la vitesse, les couleurs) et, plus encore, une écriture qui bouscule le lexique, la syntaxe, la prosodie, avant de les dynamiter tout à fait, sont le signe du profond renouvellement de la création littéraire.
Avec Max Jacob, proche d’Apollinaire, de Reverdy, dès 1917, une correspondance s’ébauche, des manuscrits entrent dans les collections, dont je ne puis donner qu’un aperçu : ainsi le passionnant ms du Cornet à dés, de 190 feuillets, qui réinvente le poème en prose, complété de ses épreuves corrigées et d’un bel exemplaire de l’édition de 1917, dont Doucet soutient la publication ; le ms du Siège de Jérusalem, de 70 feuillets, publié en 1914 par le grand galeriste Daniel-Henry Kahnweiler avec des eaux-fortes de son ami Picasso, dont Doucet acquiert aussi l’un des 85 ex sur Hollande. Enfin, il se livre pour le collectionneur, soucieux de comprendre les évolutions et révolutions artistiques de son temps, à de minutieuses analyses, dans une correspondance commandée par Doucet. Elle est aussi complétée par des lettres figurant autant de « portraits de l’auteur », qui se développeront parfois sous forme de romans, comme Filibuth ou la montre en or, paru en 1922.
Ce premier ensemble dû aux acquisitions de Doucet est régulièrement complété par des entrées postérieures : dans d’autres fonds importants figurent des correspondances – ainsi dans le fonds Michel Leiris, qui, tout jeune, fut très proche de Max Jacob (69 lettres et cartes, 183 ff) ou dans le fonds Natalie Clifford Barney ; voire des manuscrits, comme dans le fonds Tzara. Il s’est enrichi récemment d’échanges épistolaires avec des acteurs de tout premier plan de la vie littéraire et éditoriale, grâce à la générosité de ses ayants droit, Madame Lorant-Colle et Madame Saalburg (lettres de Marcel Arland, de Jen Paulhan, de Paul Morand, de Drieu La Rochelle) ; une importante acquisition est venue l’an passé compléter cette impressionnant massif épistolaire avec les quelque 250 lettres adressées au jeune poète Marcel Béalu.
Max Jacob, outre le poète que l’on connaît dans son étonnante fantaisie, est un merveilleux épistolier qui se révèle dans toute sa délicatesse au travers de sa correspondance.
Pour l’écrivain, le poète, le langage est l’homme même et la langue de chacun donne accès à sa personnalité. Correspondances et poèmes ou récits se répondent dans une grande cohérence.
Dans Cinématoma, en 1920, il brosse ainsi des portraits ou plutôt des caractères à la manière de la Bruyère à travers les seuls propos prêtés à ses personnages, qui les incarnent mieux que ne sauraient le faire des descriptions.
“Ce qui est l’homme même, c’est son langage, sa spontanéité” préface du Cornet à dés 1917.
C’est la force de Max Jacob, que Jean Paulhan avait immédiatement décelé chez le poète.
C’est maintenant une autre belle et généreuse donation composée d’une part d’un tapuscrit de ce qui deviendra Conseils à un jeune poète et d’autre part d’un ensemble de lettres, qui, par l’entremise des Amis de Max Jacob et grâce à la générosité de la famille Prieur, vient ce soir enrichir encore cette bibliothèque toujours vivante.”
Jacques Letertre, président de la Société des Hôtels Littéraires et des Amis de la Bibliothèque Jacques Doucet, l’association Doucet Littérature
Nos amis des Éditions Bartillat étaient également présents pour présenter la nouvelle édition des Lettres à un jeune homme, (1941-1944) de Max Jacob .
A l’issue de la donation, la Compagnie théâtrale de Jean-Claude Penchenat a fait une lecture à haute voix de la comédie pétrolifère inédite de Max Jacob, Les Pétroles du Béloutchistan : un très grand moment !