Deux envois autographes de Louise Colet
Les Hôtels Littéraires ont agrandi leur collection d’éditions rares et de manuscrits par deux livres de la Muse de Flaubert, Louise Colet, enrichis de sa signature autographe.
« Hommage de respect de l’auteur à Monsieur le comte Pelet de la Lozère ministre de l’instruction publique »
Louise Colet
Voici la dédicace qui figure sur l’édition originale du premier recueil de poésies de Louise Colet, publié en 1836 chez Dumont, intitulé Fleurs du Midi, poésies.
Elle est adressée au ministre de l’instruction publique d’alors, Pelet de la Lozère (1785-1871), car la jeune poétesse cherchait à obtenir des souscriptions du roi et des bibliothèques publiques, ce qu’elle obtint d’ailleurs à force de persuasion.
Désireuse de se faire connaître du gratin littéraire parisien, elle sollicita une préface de l’illustre Chateaubriand qui refusa par deux lettres flatteuses que Louise inséra aussitôt en ouverture de l’ouvrage.
En 1839, elle obtint le grand prix de poésie de l’Académie française, probablement grâce à sa liaison avec le philosophe et futur ministre de l’instruction publique, Victor Cousin.
Le journaliste Alphonse Karr, directeur de la revue satirique Les Guêpes, révéla dans un pamphlet intitulé « Une piqûre de Cousin » la liaison adultère et la naissance prochaine de la petite Henriette dont Cousin passait pour être le père.
« Mademoiselle R…, après une union de plusieurs années avec M. C…, a vu enfin le ciel bénir son mariage, elle est prête de mettre au monde autre chose qu’un alexandrin.
Quand le vénérable ministre de l’Instruction publique a appris cette circonstance, il a noblement compris ses devoirs à l’égard de la littérature. Il a fait pour Mme C… ce qu’il fera sans doute pour toute autre femme de lettres à son tour. Il l’a entourée de soins et d’attention ; il ne permet pas qu’elle sorte autrement que dans sa voiture… Il est allé lui-même chercher à Nanterre une nourrice pour l’enfant de lettres qui va bientôt voir le jour et on espère qu’il ne refusera pas d’en être le parrain. »
L’affaire fit grand bruit dans les salons parisiens et Alphonse Karr colportera ce mot cruel : « Ça n’est rien, juste une piqûre de cousin. »
Louise Colet se vengea de l’insolent en lui plantant un couteau dans le dos. Heureusement, la blessure n’était pas grave mais Alphonse Karr conserva l’arme du crime qu’il exposera sur un mur de sa chambre, avec une étiquette portant l’inscription : « Donné par Louise Colet….dans le dos ! »
« Hommage sympathique à Monsieur le chevalier Nigra ambassadeur d’Italie »
Louise Colet
Ce deuxième envoi est adressé au chevalier Costantino Nigra (1828-1907), poète et homme politique italien alors en poste à Paris en qualité d’ambassadeur.
Cette adresse figure en tête du roman Lui, publié en 1859 chez Michel Lévy.
Louise Colet fut pendant six mois la maîtresse d’Alfred de Musset, comme sa consœur George Sand avant elle pendant plus de deux ans. Après la mort du poète, celle-ci évoqua leur liaison tumultueuse dans un roman intitulé Elle et Lui auquel répondit maladroitement Paul de Musset dans Lui et Elle. Louise Colet décida d’intervenir dans la bataille et mit en scène à travers des personnages à peine déguisés, les protagonistes déjà cités : Musset, Sand et elle-même. Mais surtout, elle en profita pour régler ses comptes avec un autre ancien amant : Gustave Flaubert, plus de quatre ans après leur rupture.
Voici quelques passages au sujet de l’ermite de Croisset dénichés par le spécialiste Yvan Leclerc :
« Il vivait au loin, à la campagne, travaillant en fanatique à un grand livre » (Madame Bovary à l’époque).
« L’autre, là-bas, loin de moi, dans son orgueil laborieux et l’éternelle analyse de lui-même, il n’aimait point ; l’amour n’était pour lui qu’une dissertation, qu’une lettre morte ! » (chap. 6)
« […] la monstrueuse personnalité de Léonce s’accroissant sans cesse dans la solitude comme les pyramides du désert grossissent toujours sous les couches de sable stérile qui les recouvrent et les étreignent » (chap. 21).
Ces phrases prouvent que la terrible Muse n’avait sans doute pas supporté le relatif éloignement dans lequel Flaubert l’avait toujours tenue et leur rupture brutale dans ce court billet rédigé par Flaubert le 6 mars 1855 :
« Madame, J’ai appris que vous vous étiez donné la peine de venir, hier, dans la soirée, trois fois chez moi. Je n’y étais pas ; et, dans la crainte des avanies qu’une telle persistance de votre part pourrait vous attirer de la mienne, le savoir-vivre m’engage à vous prévenir : que je n’y serai jamais. J’ai l’honneur de vous saluer. »
Louise Colet avait annoté ces mots au crayon : “Lâche, couard et canaille”.
Hélène Montjean