Rencontre – Le mardi 4 octobre 2022, l’écrivain Yann Verdo est venu présenter son nouveau roman à l’Hôtel Littéraire Le Swann : Dans bien longtemps tu m’as aimé, qui vient de paraître aux éditions du Rocher.
Ce nouveau roman est un hommage au poète Robert Desnos qui a fait l’objet d’une récente publication de poèmes inédits dans la revue des Amis de Robert Desnos, L’Étoile de mer, grâce au collectionneur Jacques Letertre, président de la Société des Hôtels Littéraires et de Doucet Littérature, les amis de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.
La soirée du 4 octobre aura lieu à 19h, en présence de Marie-Claire Dumas, membre de l’Association des Amis de Robert Desnos et auteur de l’édition des oeuvres publiées de Desnos dans la collection «Quarto» chez Gallimard, et sous le parrainage amical de Doucet Littérature.
Yann Verdo est journaliste au quotidien “Les Échos” en charge de l’actualité scientifique. Il est diplômé de l’École des hautes études commerciales du Nord (EDHEC) et de l’Institut d’études politiques de Paris. Il est l’auteur d’un essai, Le Violon d’Einstein, paru aux éditions Odile Jacob en 2018, et d’un très beau roman remarqué aux éditions du Rocher en 2020 : Noone.
© Agence Réa, Jean Nicholas Guillo
HL – Comment avez-vous eu l’idée de ce roman dont les deux héros évoluent entrelacés autour de la figure et des poèmes de Robert Desnos ?
YV – Le plus naturellement du monde : c’est la vie qui me l’a fournie. Je suis tombé amoureux d’une femme à qui j’ai eu envie d’offrir ce merveilleux recueil, Corps et Biens, car il m’a toujours semblé qu’il contenait quelques-uns des plus beaux poèmes d’amour qui aient jamais été écrits, quelques-unes des plus belles choses qu’un homme ait jamais dites à une femme. L’amour de Desnos pour Yvonne George ne fut jamais partagé : celui que j’ai éprouvé pour la femme à qui j’ai offert Corps et Biens en ce jour déjà lointain de 2015 ne fut pas partagé bien longtemps. Plus tard, cette rupture extrêmement douloureuse m’ayant envoyé en analyse, mon thérapeute m’a suggéré de lire un livre de Nathalie Azoulai, Titus n’aimait pas Bérénice. L’histoire d’une Bérénice moderne qui, pour conjurer et dépasser son chagrin d’avoir été quittée, se plonge dans la légende de sa célèbre homonyme et, de là, dans la vie et l’œuvre de Racine. Cela a été un déclic, et il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour trouver qui serait “mon” Racine : la figure de Desnos s’est tout de suite imposée. Bien entendu, mon livre terminé, je me rends compte qu’il n’a absolument rien à voir avec celui de Nathalie Azoulai. Il n’empêche que le point de départ était celui-là.
HL – Une intense émotion se dégage à la lecture de votre livre, devant la cruauté et l’injustice du destin qui attend le poète. Comment avez-vous réussi à saisir et à raconter de façon si vivante ses dernières années de prisonnier, ses espoirs et ses souffrances ?
YV – J’ai écrit ce livre (du moins sa première version, il y a ensuite eu beaucoup, beaucoup de réécriture!) en quelques mois, durant l’hiver 2016-2017 et, durant ces quelques mois, j’ai littéralement vécu dans la peau de Desnos. Contrairement à mon précédent roman, “Noone”, je n’ai cette fois pas eu beaucoup de travail de documentation à faire : tout ce trouvait déjà rassemblé et à ma disposition dans ce merveilleux volume Quarto des Oeuvres de Desnos, établi par Marie-Claire Dumas, qui fourmille de documents d’époques et témoignages, ceux notamment des survivants des camps qui ont côtoyé le poète dans l’enfer concentrationnaire nazi. C’est pourquoi tous les faits, toutes les anecdotes ayant trait à Desnos sont véridiques: tout était déjà là, dans ce gros volume; je n’avais plus qu’à piocher dedans. L’imagination a fait le reste. Je crois que mon écriture est assez visuelle parce que je visualise moi-même ce que je décris. Par exemple, les scènes atroces dans le wagon de marchandises amenant les déportés vers les camps. C’est ce que je veux dire quand je dis que je me suis, l’espace de quelques mois, mis dans la peau de Desnos. Mais la grande différence avec lui, c’est que moi, tout en faisant cela, j’étais confortablement assis à mon bureau, alors que lui souffrait dans sa chair…
HL – “J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité…” On retrouve des vers de Desnos à chaque endroit de votre livre ; sa poésie vous a-t-elle vous-même accompagné au long de votre vie ?
YV – Oui! L’anecdote que je mets dans la bouche du narrateur, au sujet de sa rencontre avec la poésie de Desnos (et la poésie tout court), alors qu’il n’avait que 12 ou 13 ans, est réelle: c’est ainsi que les choses se sont passées pour moi. Je suis tombé par hasard sur ce poème, “J’ai tant rêvé de toi”, et ce fut un choc, une révélation. Qui allait bientôt me mettre sur la voie de la poésie. Depuis, la poésie n’a pas quitté ma vie. J’en ai beaucoup lu, beaucoup écrit. Mes poèmes ne sont jamais sortis de mes tiroirs mais je ne renonce pas à les faire publier un jour! C’est pourquoi écrire ce livre était aussi pour moi une façon de m’acquitter de l’immense dette que j’avais contractée auprès de l’auteur de Corps et Biens: de le remercier de m’avoir transmis l’amour de la poésie.
HL – Vous décrivez un “merveilleux bric-à-brac de l’imaginaire que Desnos portait au plus profond de lui” : “les deux visages de son unique amour”, Yvonne, l’étoile de mer et Youki, la sirène ; lui-même se désigne comme l’hippocampe et demande une bouée de sauvetage pour orner sa tombe, “parce qu’on ne sait jamais”.
Cela rejoint-il les figures de Rrose Sélavy et du Corsaire Sanglot auxquelles il a su donner vie ?
Tout cela vient du même arrière-monde. Desnos avait une imagination débordante, débridée, il écrivait, dessinait, concevait des scénarios de films, des émissions de radio, etc. Enfant puis jeune homme, il s’était nourri de tout ce qu’il avait pu trouver, depuis les histoires de Fantômas jusqu’aux vers d’Apollinaire, avec cette soif inextinguible des autodidactes. Il n’y avait pas pour lui de grandes et de petites œuvres, tout lui était bon. Cela me fait songer à ce passage d’Une saison en enfer de Rimbaud: “J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.”
Je crois que Desnos, lui aussi, aimait tout cela, s’en est nourri durant ses années d’apprentissage, et que c’est tout cela qui a ressurgi – transfiguré – à l’âge adulte sous les espèces de ces puissantes figures que vous citez: Louise Lame et le Corsaire Sanglot, l’étoile (Yvonne) et la sirène (Youki), lui-même sous le signe de l’hippocampe (quoi de plus gracieux qu’un hippocampe, quoi de plus mystérieux!)… Mettons Rrose Sélavy à part, puisque ce personnage a été inventé par Marcel Duchamp, même si c’est Desnos qui lui a donné ses lettres de noblesse grâce à ces extraordinaires jeux de mots qu’il a mis dans sa bouche (“le plaisir des morts c’est de moisir à plat”, “le parfum des déesses berce la paresse des défunts”… j’en passe !).
HL – Que dire de sa postérité, lui qu’on connaît parfois seulement pour ses délicieux poèmes pour enfants (Le Pélican) et qu’on voit sur son lit de mort reconnu par deux jeunes soignants tchèques qui aimaient les surréalistes et le lisaient en français ?
YV – “Puis-je défendre ma mémoire contre l’oubli?”, se demandait Desnos… Celui-ci se montrait assez désillusionné quant à sa postérité au soir de sa trop courte vie (en fait, sa “trop courte vie” n’a pas eu de “soir” : elle s’est brutalement arrêtée en plein jour). Le 8 février 1944, quelques jours avant son arrestation par la Gestapo, il notait dans son Journal : “Ce que j’écris ici ou ailleurs n’intéressera sans doute dans l’avenir que quelques curieux espacés au long des années. Tous les vingt-cinq ou trente ans on exhumera dans des publications confidentielles mon nom et quelques extraits, toujours les mêmes. Les poèmes pour enfants auront survécu un peu plus longtemps que le reste. J’appartiendrai au chapitre de la curiosité limitée.” Il me semble que l’avenir ne lui a donné ni tout à fait tort, ni tout à fait raison. Nous avons tous ânonné sur les bancs de l’école tel ou tel de ces bijoux de drôlerie que sont les Chantefables, mais ensuite?… Et cependant des livres – pas seulement le mien – ont été écrits sur lui. Desnos, connu sans l’être, est dans un entre-deux. Mais c’est le sort de tant et tant de poètes!… Il est vrai que la poésie contemporaine, celle qui se publie aujourd’hui, est devenue à peu près illisible, et que cela n’aide pas les lecteurs à aller vers elle.
HL – Avez-vous d’autres projets littéraires en tête ?
YV – J’ai écrit un autre texte après Dans bien longtemps…, qui est dans les mains de mon éditrice. J’espère qu’il verra le jour. C’est un récit que j’ai voulu court, incisif, cruel et drôle. Il traite de cette forme particulièrement terrible (et particulièrement répandue) d’aliénation mentale qu’est la passion amoureuse, et s’intitule Le Chat. Mais je n’en dis pas plus…
Propos recueillis par Hélène Montjean