Parmi les bonnes résolutions de cette année, il faut prendre celle de courir au musée des Beaux-Arts de Rouen dont chacun connaît certainement le plus grand chef-d’œuvre, parmi tant d’autres réunis à cet endroit : Le Christ à la colonne, peint par le Caravage vers 1607.
Caravage, La Flagellation du Christ à la colonne, vers 1607. Huile sur toile. © Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie, Musée des Beaux-Arts
Le tableau avait été acquis en 1955 par le conservateur de l’époque, qui pensait acheter l’œuvre d’un autre peintre napolitain de la même époque, Mattia Preti.
Le grand spécialiste italien Roberto Longhi, historien d’art et collectionneur qui parcourut les musées, les églises et les collections d’art de toute l’Europe et remit à l’honneur des peintres oubliés comme le Caravage et Piero della Francesca, fut l’auteur de l’incroyable découverte, réattribuant le tableau au Caravage à partir d’un simple coup d’œil.
En septembre 1959, il se rendit à Rouen en compagnie de Michel Laclotte, futur directeur du Louvre, qui témoigna ensuite :
« Longhi a exécuté devant la toile une espèce de danse muette. Il l’a regardé de différentes façons et, tout à coup, très vite, nous avons lu dans son expression que le tableau devenait un Caravage (…).
C’est ainsi qu’un tableau quelconque d’un musée de province est subitement devenu un chef-d’œuvre. Par un regard. »
Son intuition a été définitivement confirmée par une exposition organisée en 1985 à New-York et Naples, The Age of Caravaggio.
Portrait de Roberto Longhi © Studio Sébert Photographes
L’exposition “Caravage, un coup de fouet” organisée au musée de Rouen jusqu’au 27 février 2023 met en regard la Flagellation du Christ avec un autre chef-d’œuvre du Caravage, peint pendant sa période napolitaine, sur le même thème de la Passion :
Caravage, La flagellation du Christ, 1607. © Museo e Real Bosco di Capodimonte, Naples
Les importants travaux à venir du musée de Capodimonte ont permis ce prêt et cette possibilité de contempler en même temps les deux Flagellations, une initiative qui prolonge l’exposition Caravaggio Napoli, présentée au museo di Capodimonte au printemps 2019. Un colloque avait suivi en janvier 2020, faisant le point sur la phase napolitaine de la carrière du peintre et l’importance de son séjour dans la ville.
« Même scène de torture en clair-obscur dans les deux toiles. Même moment choisi de la Passion. Même grand thème sacré du Seigneur martyr entre les mains de brutes. Mais pour le premier, format vertical caractéristique du tableau d’autel (chapelle de la famille de Franchis dans l’église San Domenico Maggiore de Naples). Et pour le second, format horizontal avec cadrage serré et regards hors champ. », qui le rattache au registre de la peinture de dévotion privée : cette destination différente autorise l’artiste à adopter une mise en scène originale et dynamique. »
Éric Biétry-Rivierre, https://www.lefigaro.fr/culture/caravage-confrontation-au-sommet-au-musee-de-rouen-20221226
Notons par ailleurs, grâce à ces même travaux, qu’une soixantaine d’œuvres du musée de Naples, comme la Danaé du Titien, seront exposées au Louvre entre juin 2023 et janvier 2024, faisant dialoguer ces deux collections exceptionnelles sur la peinture italienne.
https://presse.louvre.fr/naples-a-parisle-louvre-invite-le-musee-de-capodimonte/
Danaé et la pluie d’or, Titien, 1544. Huile sur toile, 69 x 117 x cm. Naples, Museo Nazionale Di Capodimonte
“L’exposition Caravage. Un coup de fouet entend éclairer et élargir cette confrontation entre les deux Flagellations du peintre en les rapprochant d’une dizaine d’autres œuvres de même sujet, par ses disciples, ses rivaux et quelques-uns de ses héritiers du XVIIe siècle.”
Ici, un tableau du Carrache, au Christ de profil, dans une mise en scène à la violence grimaçante :
Ludovic Carrache, La Flagellation, vers 1590. © Douai, Musée de la Chartreuse
ou cette sculpture de Bartolomeo Brandini, aux bourreaux dénudés, conservée au musée des Beaux-Arts d’Orléans :
CARAVAGE. UN COUP DE FOUET
https://mbarouen.fr/fr/expositions/caravage-un-coup-de-fouet
Pour ceux qui voudraient pèleriner à la recherche des tableaux du Caravage en France, depuis nos Hôtels Littéraires, rappelons que le Louvre possède trois toiles du maître (La Diseuse de bonne aventure, le Portrait d’Alof de Wignacourt et La Mort de la Vierge) et qu’il faut ensuite se rendre à Nancy pour apercevoir L’Annonciation.
L’occasion de découvrir notre nouvel Hôtel Littéraire consacré à Stendhal, dont l’inauguration est prévue début 2024. En hommage à son célèbre roman, Lucien Leuwen, dont la première partie se déroule à Nancy :
Nous prendrons la liberté de sauter à pieds joints sur les deux mois qui suivirent. Cela nous sera d’autant plus facile que Leuwen, au bout de ces deux mois, n’était pas plus avancé d’un pas que le premier jour. Bien convaincu qu’il n’avait pas le talent de faire vouloir une femme, surtout s’il en était sérieusement amoureux, il se bornait à tenter de faire chaque jour ce qui, à l’heure même, lui faisait le plus de plaisir. Jamais il n’imposait une gêne, une peine, un acte de prudence au présent quart d’heure pour être plus avancé dans ses prétentions amoureuses auprès de Mme de Chasteller dans le quart d’heure suivant.
Stendhal, Lucien Leuwen