David Ducreux vient d’être nommé secrétaire général du prix Alexandre Vialatte – Entretien
HL – Vous travaillez depuis longtemps dans le domaine de l’édition, notamment au sein des éditions Gallimard ; pourriez-vous nous raconter votre passion pour ce métier au service de la littérature ?
DD – Avant d’avoir une passion pour l’édition et ses métiers, c’est d’abord le livre qui m’a passionné, pour l’objet et, plus tard, son contenu. Enfant, j’avais quelques livres mais je ne lisais pas ou très peu. En revanche, mes parents, qui ont tous les deux fait leurs études aux Beaux-Arts de Clermont-Ferrand, avaient une immense bibliothèque de livres d’art et je passais des heures à les feuilleter. Et c’est au lycée que j’ai eu, grâce à ma professeure de Lettres, une sorte de révélation. D’un coup, j’ai eu l’impression que les livres que nous étudiions me parlaient, à moi, qu’ils me racontaient quelque chose de celui que j’étais et du monde qui m’entourait. C’était là qu’étaient certainement les réponses à mes questions.
Je me suis donc tout naturellement orienté vers des études de Lettres puis en métiers du livre. Mon stage de fin d’études au service de presse des Éditions Gallimard a fini de me persuader que ce monde était le mien. Je ne voulais plus faire que cela : lire des livres, approcher et côtoyer ces savants fous qu’on appelle écrivains, les regarder faire leurs expériences, manipuler idées et sentiments, j’avais envie de grandir avec leur aide. Ce que je ne savais pas encore, c’était que non seulement on pouvait être payé pour cela mais qu’aussi, modestement, j’allais peut-être pouvoir les aider dans leur tâche. C’est le rôle d’une maison d’édition et de tous les gens qui, chacun à leur niveau, y travaillent : accompagner les écrivains. Dès l’écriture, livre après livre, puis dans leur rapport aux médias, aux libraires et à leur public. C’est les accompagner dans leur œuvre et la réception de celle-ci. Comment cela pourrait ne pas être passionnant ?
HL – En tant que Clermontois d’origine et comme tout auvergnat que se respecte, avez-vous été bercé par la légende d’Alexandre Vialatte et de ses chroniques pour La Montagne ?
À vrai dire, j’ai davantage le sentiment d’avoir été bercé par Alexandre Vialatte que sa légende. C’était un nom que je connaissais, que je lisais en Une de La Montagne quand, chez mes grands-parents, je leur empruntais le journal. Il me semble que, au haut de la première page, se trouvait chaque jour une citation, et même si aucune d’entre-elles ne me revient, j’adorais les lire, c’était comme des aphorismes, ça donnait à penser.
Je n’ai eu connaissance de ses chroniques que bien plus tard, après être passé par ses traductions de Kafka, mais alors que je ne les avais pas encore lues, les journalistes littéraires avec lesquels je discutais, en tant qu’attaché de presse, m’en parlaient souvent et semblaient le considérer avec beaucoup d’estime. Je crois qu’il est encore un modèle pour nombre d’entre eux.
HL Quels sont vos (autres) écrivains préférés, parmi les classiques et les modernes ?
Je ne répondrais à cette question qu’en présence de ma bibliothèque… Je viens de la parcourir et je crains de vous faire une réponse beaucoup trop longue. Je dois dire qu’il est rare que j’aime tous les livres d’un même auteur mais certains occupent tout de même un peu plus de place que d’autres (au hasard des rayonnages) : Jean Echenoz, Albert Camus, Philip Roth, Clément Rosset, Antoine Blondin, Romain Gary, Annie Ernaux, Eric Laurrent, Milan Kundera, Karl Ove Knausgaard, Emmanuel Carrère, Zeruya Shalev… Mon coup d’œil était rapide et j’en oublie.
Parmi les livres les plus éprouvés, pour les avoir lus plusieurs fois, je ne peux que vous recommander : Moon Palace de Paul Auster, Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier, Si c’est un homme de Primo Levi, Amours de Paul Léautaud, L’insoutenable légèreté de l’être de Milan Kundera, Le chercheur d’or de Le Clézio, Corps et âme de Franck Conroy, Le Seigneur des porcheries de Tristan Egolf et ce sont des livres que je lirai encore, qui m’accompagneront toujours. Chaque fois, je découvre en eux quelque chose que je n’avais pas encore perçu lors de mes précédentes lectures. Là aussi j’en oublie.
Enfin, je viens de lire Les lettres d’A l’est d’Eden, le journal que tenait, à l’attention de son éditeur, John Steinbeck tandis qu’il écrivait A l’est d’Eden. On le suit, jour après jour, dans la rédaction de ce grand roman. Ce journal nous plonge, non pas dans les affres de la création, mais dans le quotidien d’un homme au travail, avec ses crayons mal taillés et ses problèmes d’intendance, ses interrogations et son pragmatisme, et bien sûr cette grande question à laquelle se cognent tous les écrivains : comment rendre sur le papier ce qui, dans ma tête, est génial ?
HL – Daniel Martin a été le secrétaire emblématique du prix Alexandre Vialatte. Comment à votre tour voyez-vous les choses, et notamment la sélection des livres ?
DD – Comme en toutes choses, j’essaierai d’être moi-même. Je suis proche de Daniel Martin, en amitié et dans mes goûts littéraires, et nous ne prendrons donc pas le chemin inverse. Mes choix seront sans doute un peu différents, sans toutefois se retrouver à l’opposé. Pour la sélection, l’objectif consistant à choisir des « écrivains dont l’élégance d’écriture et la vivacité d’esprit soient source de plaisir pour le lecteur » correspond à la littérature que j’aime et que j’ai défendue. La seule question qu’un éditeur doit se poser avant de publier un livre, m’a dit un jour Antoine Gallimard, est de savoir si le texte qu’il a dans les mains tiendra dans vingt ou trente ans. Les qualités que le prix cherche dans les livres qu’il récompense sont, à mon avis, les mêmes. Il me semble d’ailleurs que certains des lauréats du prix pourraient un jour devenir des classiques.
Et d’un point de vue pratique, au-delà de ces qualités, nous chercherons à sélectionner autant d’autrices que d’auteurs et nous irons autant vers les grandes maisons que les petites. Il s’agira aussi de suivre nos anciens lauréats, de faire vivre le prix tout au long de l’année, de l’ancrer plus encore dans la région et de le faire rayonner.
Daniel Martin, journaliste littéraire et secrétaire du prix Vialatte de 2011 à 2018
Propos recueillis par Hélène Montjean