En cette période de confinement durant laquelle il n’est plus possible de voyager à sa guise, la lecture semble l’activité idéale pour s’embarquer vers des destinations inconnues.
Et quel meilleur guide que Jules Verne, qui a enchanté notre enfance avec des titres aussi divers que Michel Strogoff, L’île mystérieuse, Vingt Mille Lieues sous les mers ou Deux ans de vacances ?
Le sixième Hôtel Littéraire de la collection initiée par Jacques Letertre sera entièrement consacré à cet écrivain merveilleux, qu’on cantonne parfois avec quelque désinvolture à un simple auteur pour la jeunesse. En attendant 2021 et l’inauguration de ce nouvel établissement quatre étoiles à Biarritz, nous vous proposons une série d’articles sous la forme de fiches de lecture, d’entretiens avec des spécialistes ou encore de thématiques particulières comme l’étude des cartonnages Hetzel tant prisés par les collectionneurs.
Cette note de lecture est consacrée aux Voyages et aventures du capitaine Hatteras, l’un des premiers livres de Jules Verne, paru en 1866 juste après le succès de Cinq semaines en ballon chez le même éditeur Hetzel et également illustré par le talentueux Edouard Riou. C’est le premier titre à porter la célèbre mention des “Voyages extraordinaires” que son éditeur eut l’idée de donner à toute la collection des futurs romans de cet écrivain prometteur.
Jules Verne relate dans son roman l’épopée du capitaine Hatteras, audacieux marin décidé à devenir le premier homme à poser le drapeau anglais sur le Pôle Nord. On pensait à l’époque que la mer polaire était libre de glaces et qu’il suffisait d’un bon bateau, d’un peu de chance et de beaucoup de courage pour accéder à cet endroit encore inexploré. Le livre parut en feuilleton en deux parties, la première intitulée “Les Anglais au Pôle Nord” et la seconde “Le Désert de glace”.
L’auteur s’est comme à l’habitude, considérablement documenté, puisant dans les journaux scientifiques des informations détaillées sur les phénomènes physiques qu’on rencontre dans ces régions reculées et qu’il prend tant de plaisir à expliquer à ses lecteurs : les aurores boréales, les parhélies, les parasélènes, les mirages, la phosphorescence, etc.
Un parhélie dessiné par Edouard Riou pour Les Aventures du capitaine Hatteras
L’impression de puissant réalisme qui se dégage de l’œuvre est également due à une source de première main dont Jules Verne a bénéficié : le journal de bord d’un jeune officier de marine de retour d’une expédition dans les glaces ainsi que sa correspondance avec le célèbre explorateur René Bellot, souvent évoqué dans le roman. C’est ainsi qu’il nous livre d’authentiques épisodes sur les constructions d’igloos ou les équipées en chien de traîneau sur la banquise.
Nous prenons grand plaisir à suivre le capitaine Hatteras dans cette incroyable aventure. Il est accompagné du sympathique Docteur Clawbonny dont la science étendue lui permet de nous livrer d’inépuisables anecdotes, de son équipage trié sur le volet mais dont certains se révèleront d’infâmes traîtres et du chien Duk dont la fidélité à son maître n’a d’égale que son emprise auprès des marins qui le surnomment le dog-captain.
Jules Verne n’a garde d’oublier l’un de ses meilleurs ingrédients pour tenir son lecteur en haleine tout au long du périple : une “carte des régions circumpolaires” afin que nous puissions suivre les traces du navire le Foward et de son capitaine Hatteras pas à pas, longeant les détroits, les golfes et les îles nommés d’après leurs illustres prédécesseurs, changeant de route au gré des barrières de glace infranchissables, dans le dédale de ces terres polaires avant d’accéder enfin à cette mer libre dont l’existence même était incertaine.
Cette théorie d’une mer libre dans cette région a longtemps été en vigueur dans les milieux scientifiques avant d’être définitivement mise à mal par les expéditions ultérieures, et notamment le survol du Pôle Nord en dirigeable en 1926 par Roald Amundsen et Umberto Nobile.
Laissons le mot de la fin à Julien Gracq, qui ne cachait pas son admiration pour Jules Verne et ses voyages extraordinaires :
« Et nul ne me donnera jamais honte de répéter que les Aventures du capitaine Hatteras sont un chef-d’œuvre.»
Julien Gracq, Lettrines, I.
Alors bonne lecture !
Hélène Montjean