Le Bon sens de Michel Bernard

 

 

« Et Jehanne la bonne Lorraine,
Qu’Englois brulerent à Rouen,
Où sont ilz Vierge souveraine ?…
Mais où sont les neiges d’antan ! »

  Les vers de François Villon ont la même beauté pure et cette simplicité parfaite de la parole de Jeanne qui retentit dans les romans de Michel Bernard consacrés à la Pucelle d’Orléans.

  Le Bon Cœur (La Table Ronde, 2018) relatait la chevauchée de Jeanne d’Arc et de ses compagnons pour rétablir Charles VII sur le trône de France et chasser les Anglais du royaume. Une superbe épopée où l’auteur disait son admiration pour la puissance du verbe de Jeanne, dont la voix pleine de force et de fraîcheur savait toucher les hommes, « simple et directe en plein cœur ».

  C’est tout naturellement que Michel Bernard, passionné par son sujet qui alliait son goût pour l’histoire et sa province natale du Barrois – d’où Jeanne était originaire, eut l’idée d’écrire une suite. Il s’agissait cette fois de raconter la réhabilitation de Jeanne d’Arc dans un nouveau roman dont la citation de Michelet mise en exergue lui fournit le titre : « Elle […] eut une action par la vive lumière qu’elle jeta sur une situation obscure, par une force singulière de bon sens et de bon cœur. »

   Le Bon Sens s’ouvre dans les années 1450 avec la bonne figure de Guillaume Manchon, prêtre archiviste de Rouen chargé de transcrire les minutes du procès de Jeanne en 1431 qui s’acquitta scrupuleusement de sa tâche et veilla ensuite à conserver ces précieux documents : « Pendant toutes ces années, il avait veillé sur une voix pour qu’elle ne soit pas étouffée. ». Sous l’œil mi-clos du chat Grigri, le lecteur est immédiatement saisi par cette ambiance chargée d’odeurs « d’encre, de colle, de cuir et de grands livres ».

  Le romancier peut s’en donner à cœur joie car l’enchaînement historique des événements qui conduisirent à la réhabilitation de Jeanne d’Arc en 1456 est mal connu. Entre les faits réels, l’auteur brode à sa guise pour nous émerveiller en projetant une succession de tableaux saisissants. L’entrée victorieuse de Charles VII à Rouen est ainsi relevée d’un coquet détail vestimentaire. Le chapeau du roi caracole sur un destrier blanc : « En castor gris, il était bordé de satin rouge vif, gansé d’or et s’ornait sur le devant d’un énorme diamant. Un chapeau sur un cheval ! Ce flot de puissance, de richesse et d’auguste fantaisie après le sévère régime anglais, émerveillait les badauds. »

  Le livre prend la forme d’une vaste enquête politique et judiciaire pour rendre justice à celle qui fut victime d’un procès inique mené par les Anglais, accusée d’hérésie et horriblement suppliciée sur la place du Vieux-Marché à Rouen. Les personnages se succèdent sur la scène, depuis le roi Charles VII savourant le succès retrouvé et le goût de sa victoire : « Serrant contre lui la gloire des grands rois, il prit ses quartiers d’hiver. ».

  D’autres hommes se révèlent importants dans la menée de l’intrigue, comme Thomas de Courcelles et Guillaume Bouillé, ou font de poétiques apparitions comme Agnès Sorel et François Villon.

  On rencontre encore l’intéressante figure d’un ancien compagnon de Jeanne, Dunois, le bâtard d’Orléans. Il s’émerveille devant le travail de l’artiste Jean Fouquet dont on suit en parallèle la création du portrait du roi Charles VII. Ce tableau novateur, conservé au Musée du Louvre, révèle avec réalisme les traits du visage royal et son vêtement simple.

  Un projet de message politique pour montrer le roi victorieux de la Guerre de Cent Ans s’est mué en un chef d’œuvre. La beauté de de ces instants artistiques où l’on peut admirer le mystère du travail de création alterne savamment avec l’intrigue principale qui verra triompher l’innocence de Jeanne, unissant les Français dans l’admiration de sa mission divine et de ses exploits.

  Dans un autre livre consacré à Maurice Genevoix dont il admire passionnément le chef-d’œuvre, Ceux de 14 Michel Bernard révèle un des secrets de la littérature : « Je mesurais dans ces jours de lecture, au milieu de l’adolescence, l’autre puissance de la littérature et sans doute sa vraie raison, sa raison d’être, qui n’était pas de transporter dans un univers imaginaire, mais de donner au monde réel une intensité sans pareille. »

  C’est bien ce qu’il accomplit en racontant la geste de Jeanne d’Arc dans ce superbe diptyque dont il nous tarde de découvrir la suite.

 

Hélène Montjean