L’édition originale de La Chartreuse de Parme

Par Jacques Letertre

 

 

   Nous avons choisi de vous présenter aujourd’hui un exemplaire de nos collections qui appartient depuis de nombreuses années à la Société des Hôtels littéraires. Il est le premier des ouvrages de Stendhal à faire l’objet d’un article détaillé sur ce blogue. D’autres livres et manuscrits prendront la suite, à raison d’un par mois jusqu’à l’ouverture en mars 2024 de l’Hôtel Littéraire Stendhal à Nancy.

 

 

Il s’agit ici de la très rare édition originale en deux volumes datée de mars 1839, reliée en demi-maroquin rouge et publiée chez Ambroise Dupont, dont le principal mérite serait d’avoir édité Les Mémoires du diable de Frédéric Soulié. Ce dernier était considéré comme l’un des quatre grands feuilletonistes de la monarchie de Juillet, à l’égal de Balzac, Sue et Dumas. Il est aujourd’hui presque totalement oublié.

 

 

 

 

 

Hormis le soutien immédiat de Balzac, fervent admirateur de la Chartreuse à laquelle il consacra une étude sous la forme d’un long article publié en septembre 1840 dans La Revue parisienne, et qui disait dans une lettre à Madame Hanska : « Beyle vient de publier, à mon sens le plus beau livre qui ait paru depuis cinquante ans. Cela s’appelle La Chartreuse de Parme. Si Machiavel écrivait un roman, ce serait celui-là », le livre fut un relatif échec.

Vendu 15 francs les deux volumes, il a été suivi dans l’année d’une deuxième édition qui n’était qu’un nouveau tirage sur la même composition.

 

 

 

Le caractère exceptionnel de cet exemplaire tient aussi à la présence de l’un des très rares envois connus de Stendhal.  C’est grâce au spécialiste Philippe Berthier que cet envoi a pu être attribué à Albert Stapfer (1802-1892) – et non à son père Philippe-Albert Stapfer (1766-1840), ancien ministre suisse des Arts et de l’Éducation, un temps ambassadeur à Paris. Les deux hommes ont été des amis de Stendhal au moment de la parution de La Chartreuse, mais c’est avec le fils seul que les liens se sont maintenus par la suite.

 

 

Moins célèbre que son père, Albert Stapfer est surtout connu pour sa traduction du théâtre de Goethe, révisée et précédée d’une étude par Théophile Gauthier en 1863. Il fut l’ami d’Ampère et de Mérimée. Le 27 septembre 1835, Stendhal lui écrit une longue lettre (Champion t.V, 1999) : « Vous avez un caractère élevé juste et ferme et sans flatterie. De tous les jeunes gens que je connais, c’est vous que j’aurais choisi pour le mari de ma fille si j’en avais une … »

 

Albert Stapfer, Vue de la galerie du château de Talcy, 1840
Daguerréotype © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

 

 

Comment, au moment de consacrer un Hôtel Littéraire à Lucien Leuwen, ne pas voir un signe du destin quand il continue en écrivant : « Je fais un roman en 2 vol.in-8 intitulé Le Chasseur vert. Avez-vous lu Le Rouge ? Auriez-vous le courage de me dire exactement tous les défauts vus par vous ? »

Malheureusement, on ignore si le très honnête Stapfer avait trouvé des défauts dans Le Rouge.