Entretien avec Jessica Nelson, cofondatrice des éditions des Saints Pères et auteur de plusieurs livres (dont Brillant comme une larme, roman sur la trajectoire de comète de l’écrivain Raymond Radiguet, aux éditions Albin Michel).
Elle est également critique littéraire pour le magazine Point de Vue, cofondatrice et jurée du prix de la Closerie des Lilas depuis sa création en 2007.
Elle viendra le vendredi 19 janvier à Rouen, à l’Hôtel Littéraire Gustave Flaubert, à l’occasion des Nuits de la lecture. Une rencontre aura lieu à 18h30, en partenariat avec l’association des Amis de Flaubert, pour rendre hommage à Louise Colet.
Jessica Nelson a publié un très beau roman, L’Orageuse, chez Albin Michel, pour réhabiliter cette femme de lettres qui fut aussi la muse de Flaubert. Elle s’entretiendra avec Joëlle Robert, spécialiste de Flaubert.
HL – Vous avez cofondé la maison d’édition des Saints-Pères, qui propose une incroyable collection de manuscrits, de dessins et de brouillons d’écrivains français, de Céline à Cocteau, en passant par Rimbaud, Pagnol et Jules Verne ; pouvez-vous nous raconter cette passionnante aventure éditoriale, qui s’est ensuite enrichie de manuscrits anglais et américains, dont Jane Austen, Virginia Woolf et Charlotte Brontë ?
JN – Nicolas Tretiakow et moi avons fondé la maison il y a bientôt douze ans. L’idée était de publier dix chefs d’œuvre de la littérature française dans leur version manuscrite, dans des coffrets élégants et numérotés. Nous ne nous doutions pas que le voyage ne faisait que commencer… Nous avons rencontré des personnes incroyables, conservateurs, spécialistes, directeurs de musées, héritiers, universitaires…
Chaque livre est une nouvelle aventure, qui nous emmène dans un univers unique – celui de l’auteur – et nous donne l’impression de participer, à notre mesure, à l’histoire du patrimoine littéraire.
Découvrir un manuscrit, c’est toujours un moment émouvant. Je me souviendrai toute ma vie de celui où, à Londres, à la British Library, Nicolas et moi avons eu le privilège de feuilleter Le Livre de la Jungle, et les dessins à la main de Kipling. Un document que très peu de gens avaient vu jusqu’alors.
HL – Vous êtes vous-même écrivain, auteur de nombreux livres, dont un roman consacré à Raymond Radiguet : Brillant comme une larme, publié aux éditions Albin Michel en 2020 ; une autre façon de raconter la trajectoire de ce jeune écrivain et de s’approcher du petit monde fascinant de cette époque dans lequel il gravitait aux côtés de Jean Cocteau ?
JN – J’aime l’idée de réveiller ce qui dort. Pour moi, Radiguet est un auteur de premier plan, un écrivain génial, mais trop peu connu. Bien sûr, les gens qui aiment lire connaissent en général Le Diable au corps et Le Bal du Comte d’Orgel. Mais il a aussi laissé quantité de poèmes, de saynètes, et une correspondance qui ne cesse de m’éblouir.
Je ne suis pas historienne ou biographe, et ce que j’aime, c’est mettre en scène : la fiction permet de réunir le matériau tiré du réel et d’explorer les zones d’ombre. Le roman, en tant que genre, autorise le galop de l’imagination, le divertissement – et peut-être, attire un public plus éclectique – dans le cadre d’une peinture bien documentée.
HL – Vous avez récemment publié un roman hommage à Louise Colet, L’Orageuse, (Albin Michel, 2023) qui figurait en bonne place dans la sélection de printemps du prix Renaudot et dont vous viendrez parler à l’Hôtel Littéraire Flaubert à l’occasion des Nuits de la lecture en janvier 2024 ; avez-vous souhaité réhabiliter cette femme de lettres, parfois réduite au rôle de muse de Flaubert, et dont on a récemment redécouvert les Mementos, édités par la regrettée Joëlle Gardes (Kimé, 2018) ?
JN – Louise Colet m’a parue, elle aussi, comme une Belle au bois dormant que j’ai eu envie de réveiller. Je me suis demandée, en lisant des biographies qui lui étaient consacrées, ses Mementos (fragments de ses journaux intimes) et son œuvre prolifique, comment il était possible que l’histoire n’ait retenu d’elle que sa liaison en pointillés avec Flaubert.
Elle qui obtint 4 fois le prix de l’Académie française, qui était une star du 19e siècle, qui était considérée par Victor Hugo comme la grande auteure de leur époque, et qui laissa derrière elle des récits époustouflants de ses voyages…
HL – Vous êtes également cofondatrice et membre du jury du prix de la Closerie des Lilas, fondé en 2007, pourriez-vous nous raconter l’histoire de ce prix et son désir de mettre à l’honneur la littérature féminine ?
JN – Le prix de la Closerie des Lilas est né d’une envie de promouvoir les livres des femmes – plutôt qu’une littérature féminine. Je fais partie d’un petit groupe d’amies, toutes romancières, et nous trouvions à l’époque que les auteures, et surtout les jeunes auteures, étaient finalement peu nombreuses à figurer dans les listes des grands prix d’automne.
Ce qui était une boutade est devenu, là aussi, une aventure qui s’est prolongée dans le temps, grâce au soutien inconditionnel de la Closerie des Lilas, et des mécènes Miroslav et Colette Siljegovic. Nous sommes très fières de porter ce prix, et d’avoir fait découvrir des nouvelles plumes au public : Sylvie Ohayon, Alice Zéniter, Julia Kerninon…
Le jury 2023 du prix de la Closerie des Lilas,
avec les fondatrices Emmanuelle de Boysson, Carole Chrétiennot, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Stéphanie Janicot, Jessica Nelson et Tatiana de Rosnay,
accompagnées du jury invité. Source : Actualitté
HL – Parmi toutes vos activités littéraires, avez-vous en tête de nouveaux projets à nous confier pour cette année ?
JN – Je travaille sur les prochains manuscrits que nous publierons aux éditions des Saints Pères : les Calligrammes de Guillaume Apollinaire qui vient des collections de la BLJD, Les Montagnes hallucinées de H-P. Lovecraft qui nous vient de la John Hay Library à Providence (NY), et un carnet de poèmes et de dessins de William Blake conservé à la British Library.
Et bien sûr, je réfléchis à mon prochain roman…
Propos recueillis par Hélène Montjean