Qui se souvient de Bernard Frank ?

par Jacques Letertre

 

   Voici dix-huit ans, le 3 novembre 2006, disparaissait un des plus lumineux critiques et un des esprits les plus attachants de la littérature française de la seconde moitié du XXème siècle. 

   Il faut avoir attendu chaque semaine avec impatience ses diverses chroniques dans le Nouvel Observateur, dans le Monde ou dans le Matin de Paris, pour partager les enthousiasmes, les rejets ou les mises à l’encan de celui qui toute sa vie n’a aimé que les livres et les écrivains.

   C’est lui qui a, le premier, regroupé quelques jeunes écrivains de droite comme Nimier, Blondin ou Laurent, sous le vocable qu’il voulait très critique de « Hussards », quitte à devenir ensuite un des meilleurs amis de Blondin et à recevoir lui-même le prix Roger Nimier en 1981.

   Voici quelques mois, lors de la cérémonie de dévoilement du timbre consacré à Francoise Sagan à l’Hôtel Littéraire le Swann, c’est aussi à Bernard Frank qu’allait mes pensées, à l’improbable couple amical qu’il formait avec elle, une amitié-passion qui reposait sur la folie des livres et une vision commune qui faisait que l’on ne savait plus lequel des deux disait : « Il me semble que si j’ai tant bu dans cette vie, c’est pour vaincre mes frayeurs de jeune fille ».

   Il y a quelques jours, j’ai de nouveau pensé à lui au détour d’un petit opuscule paru en 2013 aux Éditions cent pages et consacré à la « Mort de ma grand mère » par Marcel Proust, suivi d’une conclusion écrite en 1992 de Bernard Frank.

 

 

 

    Depuis le formidable choc qu’avait été pour moi la lecture du chef d’œuvre que constitue le « Lambeau » de Philippe Lançon, je m’étais promis de ne plus rien écrire sur la Mort de la grand-mère dans la Recherche.

 

 

   Mais là, il s’agit du grand proustien qu’était Frank et d’un tout autre contexte. En douze pages lumineuses, il vous donne l’irrépressible envie de relire les pages de Proust.

   Comme Frank le dit dès le début « C’est un bonheur de lire Proust et un cadeau d’en parler… Si vous n’aviez jamais lu Proust, vous allez en avoir de la chance, votre initiation deviendra vite un envoûtement… Vous vous demanderez comment vous avez pu vous en passer, ce qui vous avez pris de lui préférer des écrivains qui n’avaient ni sa drôlerie, ni sa gravité et si vous le relisez pour la nième fois, vous vous direz peut-être que ces soixante pages de Proust, c’est ce que vous avez connu de meilleur dans votre vie ».

Relisez comme vous le conseille Bernard Frank la « Mort de la grand mère » et précipitez-vous sur les rééditions de ses chroniques  : « En soixantaine »,  « 5 rue des italiens » et autres. 

 

 

 

Comme le dit Olivier Frebourg, chez Frank, « Il n’y a jamais une faute de goût, jamais un lieu commun dans le reflet du miroir qu’il tend à notre époque et à son imaginaire ».

Jacques Letertre

 

À lire, notre lecture du Lambeau de Philippe Lançon :