“Conte de Noël” de Marcel Aymé – par Michel Lécureur

éditeur des Œuvres complètes de Marcel Aymé dans la Pléiade et auteur d’une biographie en deux volumes de l’écrivain (Édilivre, 2018).

 

 

 

Conte de Noël

   Ce conte a d’abord été publié dans Marianne, le 19 décembre 1934, sous le titre “Le Noêl de l’adjudant”, avant d’être repris en 1938 dans le recueil Derrière chez Martin.

   Fils et frère de militaires, l’un d’eux a terminé sa carrière avec le grade de général, Marcel Aymé a eu  l’occasion d’entendre beaucoup de témoignages au sujet de la vie des soldats. Il n’est donc pas surprenant de trouver ce type d’histoire sous sa plume, revue et corrigée par sa tendresse et son humour.

   Dans ce “Conte de Noël”, il imagine un adjudant, Constantin, très bon et très doux, qui, néanmoins, punissait beaucoup. Il avait, en effet, le souci “de faire respecter la discipline sans laquelle il n’y a autant dire point d’armée”. Ses phrases favorites étaient “Vous coucherez à la boîte ce soir!” ou bien “Vous serez de corvée où vous savez!”.

   Toutefois, tout en sanctionnant les uns et les autres, Constantin n’était pas heureux. 

“Son coeur saignait de pitié, et il lui arrivait de se dire tout bas: “Si seulement je pouvais coucher en prison à leur place!” Et quand il ne soupirait pas, il le pensait.”

   Il était vraiment très bon et souffrait de savoir qu’il était volontiers traité de “sale vache”.

“Il en avait une si grande peine que le soir venu, dans son lit, il ne pouvait s’empêcher de pleurer. Il pensait que les galons d’adjudant sont difficiles à porter, bien plus que ceux de capitaine ou de commandant.”

 

   Le soldat qui lui causait le plus de souci était Morillard, forte tête qui lisait des journaux subversifs, sortait sans permission, rentrait “saoul perdu”, après avoir passé la nuit au Grand Huit de la rue du Vert-Vert”, c’est-à-dire dans une maison close notoire. Sur ce qu’il y faisait, “autant se taire. Le caporal Meunier qui l’y avait accompagné une fois, disait que c’était impossible à se figurer quand on n’y avait pas déjà un peu vécu.”

   Bien sûr, Morillard jurait qu’il quitterait l’armée dès ses classes terminées, en ajoutant, le plus souvent: “Je veux qu’un cochon soit mon oncle si jamais je rengage!”

   C’est pourtant ce qu’il fit pour les beaux yeux d’une certaine José, devenue pensionnaire du Grand Huit de la rue du Vert-Vert. Il faut dire qu’elle avait “les yeux blonds et si doux et si chauds qu’il leur suffisait d’un regard pour dévorer le coeur d’un homme.”

   Constantin essaya bien de dissuader Morillard, mais en vain. Il eut beau lui démontrer “qu’il n’y a point de sagesse à rengager pour des fantaisies de traversin.”‘ Rien n’y fit. Morillard rempila et ne s’amenda pas.

   Un matin de veille de Noël, l’adjudant le surprit même au magasin d’habillement en train de se chauffer les pieds au lieu de faire l’exercice dans la cour. Il écopa donc de quatre jours de prison.

   Un peu avant l’heure de la soupe, Constantin se livra à une inspection rapide des chambrées et découvrit un paquetage mal fait. Intrigué, il le défit et découvrit une vareuse appartenant à Morillard, ainsi qu’un colis enrubanné contenant une chemise  de femme bleu ciel, brodée de guirlandes de marguerites. Sans aucun doute, c’était le cadeau de Noël que le soldat destinait à José et qu’il n’allait pas pouvoir lui offrir. L’adjudant fut pris de remords d’avoir consigné le jeune homme.

   Au cours de la nuit qui suivit, incapable de trouver le sommeil, Constantin partit pour une dernière ronde et découvrit “un enfant tout nu, chargé d’une hotte, l’enfant Noël,”qui distribuait de bonnes pensées aux uns et aux autres, faute de pouvoir offrir mieux. Interrogé sur l’état d’avancement de sa tournée, le petit personnage répondit qu’il avait encore un paquet à distribuer. L’adjudant décida de se joindre à lui et découvrit comment il s’y prenait.

   Il suffisait de glisser la bonne pensée sous le traversin et de border ensuite le soldat. Arrivé devant le lit vide de Morillard qui couchait en prison, l’enfant confia une bonne pensée à Constantin pour la donner au militaire quand il reviendrait. C’est alors que l’adjudant eut l’idée de lui demander s’il accepterait de se charger de déposer le cadeau enrubanné au Grand Huit. L’enfant avait justement prévu de s’y rendre et il accepta volontiers.

   Constantin lui cria de bien préciser que c’était de la part de Morillard et, avant de filer,  Noël

“plongea la main dans sa hotte et fit neiger des fleurs de paradis sur le képi de l’adjudant qui se mit à rire dans le mois de décembre.”

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Après sa publication dans la Collection Blanche de Gallimard en 1938 (Derrière chez Martin), ce conte a été repris en poche (Folio) et dans La Pléiade (Volume II)

Michel Lécureur