Remise du prix Céleste Albaret – 22 juin 2023

à l’Hôtel Littéraire Le Swann.

 

9EME EDITION DE LA REMISE DU PRIX CELESTE ALBARET, A L’HOTEL LITTERAIRE LE SWANN, A PARIS, FRANCE
LE 22 JUIN 2023
PHOTO: © SYLVIE GROSBOIS

 

 

“Cher Pedro Corrêa do Lago, c’est un grand plaisir et un honneur pour moi, de vous remettre au nom du jury, le prix Céleste Albaret 2023, pour votre livre Marcel Proust, une vie de lettres et d’images.

Ce livre est l’œuvre d’un collectionneur. Vous m’excuserez aussi de commencer par une anecdote qui arrive des coulisses. Après avoir élu votre livre, la conversation du jury s’est mise à rouler sur les collectionneurs, les divers types de collections, celles qui sont centrées sur une époque, une personnalité, un pays ; quelqu’un alors a mentionné un collectionneur exclusivement attaché aux objets ayant eux-même fait partie d’une précédente collection, celle d’une princesse de France

Jacques Letertre a alors commenté « oui, il y a des maniaques parfois comme ça ».

Bien sûr : pour un collectionneur, le maniaque, c’est toujours l’autre.

Mais vous, cher Pedro Corrêa do Lago, vous n’êtes pas un maniaque, vous êtes un ogre. C’est très différent. Vous possédez la plus grande collection d’auto-graphes au monde ; vous l’avez amassée dans le projet pharamineux, encyclopédique, ogresque, de documenter la culture occidentale, via les quelques 5000 personnalités qui la représente. Une ambition inépuisable.

Parmi votre collection, il y a un gigantesque pan consacré à Marcel Proust, à son entourage, à son époque, un pan qui forme une collection dans la collection, que vous avez partagé dans ce livre. C’est un chef d’œuvre.

Il rassemble environ 450 documents ; dont 70 lettres de MMP qui constituent une superbe ossature. Et autour, sont assemblées des cartes postales, dessins, des lettres encore ; tous splendidement reproduits : la fabrication de l’ouvrage est remarquable.

N’ayant pas le temps de décrire chacune des qualités de l’ouvrage, je voudrais souligner à quel point, tout ambitieux qu’il soit, il demeure accueillant ;

grâce aux chronologies limpides qui ouvrent chacune des cinq parties

grâce aux textes, précis, savants, et vifs ;

grâce aux titres, fermes, bien dessinés, citations ou commentaires, qui nous mettent les deux pieds dans la farine. Ils m’ont particulièrement plu.

  • « Quelle bousculade avec cette affaire Dreyfus »
  • « Bois Boudran crevant »
  • Et Proust écrit le mot « Dieu »
  • « Je suis décoré, malheureusement je le suis au milieu de gens sans grande valeur littéraire » (à quoi s’attendait-il ?) (dernière partie, la gloire enfin)

Toutes ces qualités font de votre livre une remarquable promenade, une évocation, une résurrection de la Belle-époque.

 

Mais il y a autre chose aussi dans ce livre. Quelque chose d’absolument passionnant : le roman du collectionneur. Une aventure, une quête, qui se lit en filigrane.

Jean-Yves Tadié vend la mèche, dans la préface, dans un embryon de scénario qu’Hollywood ne renierait pas : il vous peint à vingt ans, avec 200 dollars en poche, achetant votre premier manuscrit autographe de Marcel Proust :  rien de moins que la lettre par laquelle il annonce à Bernard Grasset qu’il renonce à le quitter pour Gallimard.

À votre tour, dans votre avant-propos, vous évoquez des ventes publiques, des visites à des marchands de livres et d’autographe ; vous parlez de votre éloignement géographique du marché des livre; vous évoquez même des « manques » intensément ressentis.

Le lecteur qui s’apprêtait à embarquer pour la vie de Marcel Proust en lettres et en images ; voit une partie de son attention détournée. Il y a dans le livre, derrière le tourbillon de la vie, un autre tourbillon, un fleuve souterrain et tumultueux : celui de l’aventure de la collection. Il devient décidé à en scruter les méandres et les remous, ou ce qui se laissera voir. Quand vous annoncez le défi romantique que vous avez fixé pour ce livre (tout illustrer à partir de votre collection), on est plongé dans un état d’exaltation.

Alors, devant certaines pièces extraordinaires, on oublie Marcel Proust, et on pense au collectionneur. On vous suit suivant sa piste, on imagine la traque, on goûte vos réussites, on attend le prochain assaut, la prochaine prouesse. Et devant l’incipit alternatif (« Pendant bien des années le soir, quand je venais de me coucher ) ; devant les dernières lignes tracées par Marcel Proust avant sa mort, le billet taché de café, le lecteur oublie tout simplement qu’il n’a pas lui, de collection et qu’il n’en aura sans doute jamais, et penché sur le manuscrit, la lettre, ou la photo il se dit, admiratif et presque jaloux (comme Jacques Letertre) : oh, c’est lui qui l’a !

 

À côté des moments de fièvre, il y a beaucoup de moments d’émotion. Je pense à la double page qui s’intitule «Proust amateur d’autographes ». Figure dans cette page un poème de Sully Prudhomme écrit de sa main « Ici-bas tous les lilas meurent ». Le premier vers de ce poème est pour moi un mot de passe, qui fait surgir la duchesse de Guermantes.

La page est très émouvante parce qu’on découvre grâce à votre récit que Proust, lui-même été traversée par cette question du manuscrit autgraphe, a un temps fortement désiré obtenir quelque chose de Sully Prudhomme, pas pour lui, mais pour Gaston Calmette, mais il n’y est jamais parvenu, parce qu’à l’époque déjà le marché était extrêmement tendu.

Mais vous lui avez trouvé ! Et en ajoutant ce poème à votre collection (celui précisément qu’il avait mis dans son livr ; celui que Céleste Albaret connaissait par coeur), vous avez comblé son désir par-delà la mort. On est gagné par sentiment d’une injustice réparée, de quelque chose comme un temps retrouvé.

 

Je m’arrête en vous redisant tout le plaisir que j’ai eu à parcourir cette évocation de Marcel Proust en écrivain ; de Marcel Proust en collectionné ; et à entrevoir la personnalité du collectionneur. Tout lecteur ne pourra que vous remercier d’avoir partagé et ces documents exceptionnels, et votre passion.

Et puisque j’ai le plaisir de vous remettre ce prix, j’en profite pour vous poser une question.

Je voudrais bien savoir quelle est dans ce livre votre double page préférée ; l’assemblage de texte / documents dont vous tirez le plus de fierté ?

La réponse m’intéresse, parce que vous faites allusion dans la préface à la réussite particulière de certaines combinaisons et je me suis demandé lesquelles. Je sais que c’est difficile de choisir ; j’espère que la question ne vous mettra pas en difficulté ; mais même si elle devait le faire, je vous la pose quand même ; car bien que je vous ai traité d’ogre tout à l’heure avec impertinence,  comme je ne suis pas un manuscrit autographe, j’ai confiance que vous ne me mangerez pas.

Cher Pedro Corrêa do Lago, je vous félicite encore et vous laisse la parole.”

 

Mathilde Brézet, lauréate du prix Céleste Albaret 20022

 

 

9EME EDITION DE LA REMISE DU PRIX CELESTE ALBARET, A L’HOTEL LITTERAIRE LE SWANN, A PARIS, FRANCE
LE 22 JUIN 2023
PHOTO: © SYLVIE GROSBOIS

 

 

 

“Mesdames, Messieurs, Mathilde Brézet, qui vient de me “recevoir”, entre guillemets, avec des mots qui me touchent beaucoup; Jacques Letertre, qui nous reçoit tous, littéraire et littéralement ce soir, grand  collectionneur que j’admire et que j’envie, et qui m’a inclus si généreusement depuis les premiers jours parmi le groupe de proustiens toujours ravis d’être sous sa houlette ; Jean-Yves Tadié, en qui je salue et remercie tous les autres membres du jury, mais en qui je reconnais surtout non seulement le pape de Proust mais le nouvel ami qui a cru en ce livre avant même qu’il ne fût inventé et quand les chances qu’il puisse voir le jour, dans les temps, semblaient minimes.

Je ne pourrai jamais exprimer pleinement ma reconnaissance pour son encouragement constant, pour une préface trop flatteuse et pour une amitié offerte sans conditions.

Ce prix que je reçois aujourd’hui, pleinement conscient que d’autres ouvrages l’auraient autant mérité, représente pour moi, à 65 ans, l’occasion d’un partage public de trois grandes passions.

Tout d’abord, la langue française. Le hasard a voulu qu’un petit garçon brésilien, fils de diplomate, apprenne à l’âge de six ans à Genève une nouvelle langue dont il tomba rapidement amoureux. Un outil qui n’était alors exigé que pour sa scolarité finira par le bercer toute sa vie avec les accents tendres d’une autre langue maternelle.

Le prix Céleste-Albaret représente aussi pour moi l’aboutissement d’une seconde passion, celle pour l’œuvre de Marcel Proust, que je partage avec tous les amis présents, la plupart proustiens chevronnés, dont l’accueil, depuis les dix-huit mois que nous avons fait connaissance, a ouvert pour moi un nouvel univers d’amitié bien au-delà de la communion dans une même passion.

Après le français et Proust, un troisième engouement, peut-être plus inespéré, m’a permis de réaliser ce livre et sous-tend les cinquante dernières années de ma vie : la passion pour les manuscrits et lettres autographes (que je partage avec Jacques Letertre.) Je peux difficilement expliquer le nombre infini de joies, petites et grandes, dont cette chasse aux trésors a enrichi ma vie.

Ce livre, qui reproduit des centaines de pièces de ma collection depuis la première lettre de Proust que j’ai eu le privilège de pouvoir acquérir à l’âge de vingt ans, m’a permis également une sorte de synthèse de ce qui me semble un rôle éminent du manuscrit, au-delà de son évidente importance académique, celui d’illustrer et d’enrichir la compréhension des textes les plus divers, qu’ils soient biographiques ou qu’ils aient trait à l’histoire, aux arts ou aux sciences. J’ai eu la chance que mon accumulation de pièces de Proust au cours de quatre décennies m’ait permis d’évoquer son parcours, comme dit le titre de mon livre, à l’aide “de lettres et d’images”.

Mon éditeur, Gallimard, a bien voulu garder intacte ma conception initiale de ce livre, avec son format, le nombre de pages, la couverture souple et sa mise en page. Le produit final donne aujourd’hui une nouvelle raison d’être à ma collection proustienne et me permet aussi, à ma grande joie, d’être parmi vous ce soir.

On m’a suggéré d’évoquer ici la réception de l’œuvre de Proust dans mon pays, le Brésil, sujet brillamment traité dans le livre de Blanche Cerquiglini, Antoine Ginésy, Guillaume Lefer, Nicolas Bailly et mon ami, lui aussi brésilien, Etienne Sauthier, qui a pour titre “Proust-Monde”, ouvrage avec lequel j’ai eu l’honneur de faire partie des cinq finalistes du prix décerné ce soir. Il est assez remarquable, comme le montre “Proust-Monde”, que les premiers lecteurs brésiliens de Proust se passionnent déjà pour son œuvre au début des années 1920 et qu’une Association d’amis de Marcel Proust, peut-être la seconde au monde, soit créée dans ma ville natale, Rio de Janeiro, en 1949.

Mais je suis né en 1958 et me sens un peu étranger au monde proustien de mon pays, n’ayant jamais vraiment été un lecteur brésilien de Proust, pour l’avoir d’abord découvert en français pendant ma scolarité et n’ayant fréquenté que beaucoup plus tard, et par curiosité, les traductions, certaines excellentes, de La Recherche en portugais.

Ce serait donc surtout le parcours presque miraculeux que suivent en français les lecteurs de Proust que je serais tenté d’évoquer ici, car chacun d’entre vous l’a vécu à sa manière, mais presque tous avec une remarquable constance dans l’enthousiasme. Cet enthousiasme partagé crée des liens d’une force étonnante et je suis ravi d’avoir été accueilli si chaleureusement dans cette confrérie sans règles, sinon celle du culte commun.

Il serait difficile de souligner encore ma profonde émotion en tant que premier non-français à recevoir le prix Céleste Albaret. J’ai la joie de voir ici mon frère aîné, Luiz, à qui je dois tant, mon meilleur ami, Nicolas Kugel, Hubert Heilbronn, dont la présence m’honore, et j’aurais tant aimé que ma femme, Bia, puisse elle aussi être parmi nous ce soir, mais le prix nous a pris par surprise et elle n’a pas pu se dépêtrer de ses engagements à Rio. Bia a renoncé à son mari pendant presque un semestre et a soutenu la fabrique de ce livre par les moyens les plus divers et les plus doux. J’aurais encore beaucoup d’amis à remercier mais j’avais promis d’être bref, autant qu’on puisse l’être quand un honneur et un bonheur comme ce prix vous tombe du ciel sans bouclier arverne pour vous protéger.

Merci infiniment à tous les amis présents et passons maintenant aux boissons prodiguées par notre plus qu’aimable amphitryon.”

 

Pedro Corrêa do Lago, lauréat du prix Céleste Albaret 2023

 

 

 

9EME EDITION DE LA REMISE DU PRIX CELESTE ALBARET, A L’HOTEL LITTERAIRE LE SWANN, A PARIS, FRANCE
LE 22 JUIN 2023
PHOTO: © SYLVIE GROSBOIS