Comment remplir les caisses de l’État selon Marcel Aymé

par Michel Lécureur,

éditeur des Œuvres complètes de Marcel Aymé dans la Pléiade et auteur d’une biographie en deux volumes de l’écrivain (Édilivre, 2017).

 

  Marcel Aymé, Annabel et Bernard Buffet lors de Patron

 

 

   Cette brûlante question d’actualité a été traitée par Marcel Aymé, en 1959, dans la comédie musicale Patron,  avec l’aide de Zizi Jeanmaire, Roland Petit et Guy Béart.

   Dans la pièce, “Patron” est le nom d’une jeune femme, cheffe d’une fonction instaurée au Ministère des Finances car “en France, il est devenu très difficile de créer des impôts nouveaux. L’électeur n’en veut plus. Pourtant il faut à l’État beaucoup d’argent, toujours plus d’argent. C’est pourquoi le Ministère a décidé de procéder à ce que nous appelons un prélèvement subreptice.”

   Pour ce faire, le Service est divisé en deux, les Rampants, qui restent au Ministère, et ceux qui agissent sur le terrain, les Volants ! On pratique le hold-up, le cambriolage, la carambouille, la triche au jeu ou la vente d’immeubles dont on n’est pas propriétaire. Lord Filinnbrock, Anglais auquel ces activités sont présentées, est émerveillé au point de déclarer à Patron : ” Je sors de votre Service avec la tête qui réflexionne. Vous êtes une grande servitrice de l’État français.”

   Ce qui était une parodie du langage d’un étranger devient au passage un bel exemple de féminisation du vocabulaire et donc de la modernité de l’auteur !

 

 

 

Non seulement Patron dirige son groupe, mais elle gère aussi les relations entre ses adjoints. Ainsi, à l’intention de Zélie qui est éprise de Jules, elle chante :

 

“Quand un homme, quand un homme

Vous dit veux-tu être à moi,

Faut en somme, faut en somme

Rester sur son quant à soi

Êttre sûre, être sûre

Qu’ses sentiments sont au-dessus

D’la ceinture, d’la ceinture

Sans quoi vous avez perdu.”

 

   Nous sommes en effet dans une comédie musicale où Marcel Aymé s’est laissé aller à écrire quelques chansons. La plus célèbre d’entre elles est incontestablement La Chabraque qui fut en particulier interprétée par Guy Béart :

C’est dans l’quartier, c’est dans l’quartier

On en causait encore hier

À la station Fill’ du Calvaire

C’est dans l’quartier, c’est dans l’quartier

Dans le quartier des Enfants rouges. (bis)

Une blonde, malabar, les yeux durs

J’peux pas mieux dire la découpure.

En plus de son accent chabraque

Qu’avait Marika la Polaque,

El’ logeait près du Pont-aux-Choux

Sous les toits avec un chien-loup

Qui lui avait léché les mains 

Un soir dans la rue Portefoin.

 

 

   L’Anglais est tellement séduit par l’initiative du Ministère français des Finances  qu’il imagine de la transposer en Grande-Bretagne. “Je veux introduire le système dans mon pays. Pas tout de suite en Angleterre, mais j’ai pensé… Vous savez combien il est dur de faire donner la monnaie à nos Écossais. Je voudrais commencer par l’Écosse et vous demander de mettre là-bas sur les pieds un service comme le vôtre.”

   L’idée fait des émules et Patron propose à un gentleman-cambrioleur, Malascar, qui lui fait la cour, de l’embaucher. “Je suis sûre que vous sauriez trouver des trucs épatants, étendre nos prélévements subreptices à toutes les nations voisines…”

Tout le monde se réjouit et Patron est heureuse de voir que l’État est sauvé. Elle chante alors :

Avoir pour chambre un pigeonnier

Et l’eau courante’sur le palier

Dîner d’un radis, d’un oeuf dur

Aux fins d’mois, s’mettre la ceinture,

Quant aux toilett’ on l’imagine

S’contenter d’lécher les vitrines

Mais tout ça nous importe peu

Pourvu que l’État soit heureux.

 

 

Zizi Jeanmaire

 

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Patron a été représentée pour la première fois le 28 septembre 1959 au Théâtre Sarah-Bernhardt sur une musique de Guy Béart  et publiée dans le Cahier Marcel Aymé n°5.

 

 

Parmi les interprètes:

Zizi Jeanmaire (Patron), Jean-Pierre Marielle (Lord Filinnbrock), Philippe Lemaire (Malascar), etc.

Ce spectacle était une production des Ballets de Paris de Roland Petit, avec  des décors de Bernard Buffet.

 

Michel Lécureur