Colette en toutes lettres – Entretien avec Geneviève Haroche-Bouzinac
Pour son cinquantième numéro, la revue Épistolaire propose un dossier “Colette en toutes lettres” avec de nombreux inédits, dont un de Marcel Proust.
Une soirée de lancement aura lieu le mardi 28 janvier 2025 – jour anniversaire de la naissance de Colette -, à 19h à l’Hôtel Littéraire Le Swann (11 rue de Constantinople, Paris VIIIe).
Rencontre avec la directrice de la revue Épistolaire, Genevieve Haroche-Bouzinac.
HL – La Revue Épistolaire que vous dirigez est l’élément phare de l’Association Interdisciplinaire de Recherches sur l’Epistolaire (AIRE) dont vous êtes vice-présidente ; nous fêterons son cinquantième numéro le 28 janvier prochain. Pourriez-vous nous retracer son histoire et son évolution au fil des années ?
G. H-B. Nous fêtons avec ce cinquantième numéro 37 années d’études épistolaires. La revue émane de l’Association Interdisciplinaire de Recherche sur l’Épistolaire (A.I.R.E.), fondée en 1987, à Cerisy lors du colloque L’Épistolarité à travers les siècles. Elle réunit des chercheurs qui étudient les correspondances d’écrivains et des non-écrivains. La revue ouvre ses pages à des disciplines variées, dans un esprit international d’interdisciplinarité et d’excellence. Nous sommes en lien avec des équipes européennes, du Canada, d’Amérique du nord et d’Amérique latine.
Nous observons aussi bien les conditions de l’échange, par exemple la lettre qui circule Avec ou sans enveloppe, que des catégories d’épistoliers, comme les Artistes en correspondances, ou des formes particulières telles la Lettre d’Italie, la Méchante lettre, les Supercheries. Le rapport de la lettre avec d’autres formes d’expression comme la biographie, la poésie et toutes les formes brèves nous intéressent. Nous prêtons attention également à l’élaboration des représentations : la Lettre au cinéma, la lettre en peinture. La relation avec l’Histoire est également centrale.
Il n’y a guère d’autre genre littéraire qui se situe à ce point de jonction extrême entre l’intériorité et le partage, sauf peut-être la poésie : nous avons étudié la place de l’imaginaire, du rêve et la mélancolie dans le message. Une fois nos méthodes d’analyse acquises, nous avons pu aborder les grands corpus : Diderot, Zola, Camus, Gide et aujourd’hui Colette.
Nous publions aussi des varia, les « perspectives épistolaires », des comptes rendus d’ouvrages critiques et d’éditions de lettres. Tradition de l’épistolographie mais aussi actualité des publications sont conjuguées. Une chronique animée depuis le Canada par Benoît Melançon épingle avec drôlerie les situations épistolaires insolites et elles sont nombreuses.
HL – Votre dossier de janvier 2025 est consacré à Colette, dont l’œuvre vient de tomber dans le domaine public. Son activité épistolaire permet-elle de dévoiler un aspect méconnu de Colette ?
G. H-B. J’oserais dire qu’à bien des égards les lettres sont supérieures à la fiction, car elles contiennent toutes les virtualités d’une situation que le roman est tenu de simplifier. Ainsi les lettres de Colette nous en apprennent beaucoup sur son œuvre. Mais aussi sur sa personne : son goût indéniable pour les dimensions matérielles de l’échange, qu’elle nommait sa manie « papetière » et sa façon de construire des réseaux d’amitié et d’influence qui l’imposent comme « la grande romancière des lettres française ».
HL – Quels contributeurs avez-vous choisis et comment avez-vous réparti les rôles pour cerner l’ensemble du sujet de “Colette épistolière” ?
G. H-B. Nous avons donné carte blanche à Frédéric Maget. Il a su créer un équilibre entre les connaisseurs de l’œuvre et des lettres de Colette et les découvreurs et éditeurs de de texte. Puis, comme à l’accoutumée, avec Bénédicte Obitz-Lumbroso, nous avons dialogué sur les textes reçus.
Table des matières :
Haroche-Bouzinac, Geneviève, «Avant-propos».
«Dossier. Colette en toutes lettres»
Maget, Frédéric, «Introduction : Colette épistolière, la part méconnue de l’œuvre».
Boustani, Carmen, «Colette, épistolière chevronnée».
Constellations féminines
Laval-Turpin, Nicole, «De la vagabonde à son amie poétesse, les “conversations” de Colette et d’Hélène Picard».
Brechemier, Dominique, «Annie de Pène et Colette, une amitié épistolaire en temps de guerre».
Gigot, Chantal, «“Ferveurs.” Lettres de Renée Vivien à Colette (1906-1909)».
D’Enfert, Guillaume, «Colette-Louise Hervieu, la plume et la craie. Glanes en marge d’une correspondance».
«“Pour comble de prodigalité, tu m’as donné ta lettre.” Correspondance Colette-Louise Hervieu (1917-1953). Texte établi et annoté par Guillaume d’Enfert et Frédéric Maget».
Papiers et stylos
Trézéguet, Clément, «Jeu(x) de cartes».
«“Colette en toutes lettres.” Entretien avec le collectionneur Michel Remy-Bieth».
«Florilège tiré de la collection de Michel Remy-Bieth».
«Cartes postales inédites de Colette à Missy. Texte établi et annoté par Frédéric Maget».
La lettre à l’œuvre
Bordji, Samia, «“Lettres retrouvées de La Vagabonde.” Réflexions autour du premier manuscrit inédit de La Vagabonde».
Charreyre, Martine, «“Devenir ton illusion.” Comment l’épistolaire transcende le personnage de Mitsou».
Maget, Frédéric, «Dans l’atelier épistolaire de Colette».
Bigot, Chantal et Frédéric Maget, «État de la question de la correspondance de Colette : “La mosaïque épistolaire de Colette”».
Haroche-Bouzinac, Geneviève, «“De la découverte à la rêverie.” Entretien avec Évelyne Bloch-Dano».
HL – Votre dernière biographie, consacrée à Madame de Sévigné, a été récompensée par le prix de la biographie du journal Le Point et par le prix Goncourt de la biographie Edmonde Charles-Roux. Pourriez-vous revenir sur cette consécration, après vos précédents travaux sur des femmes de lettres et des artistes remarquables comme Louise-Élisabeth Vigée Le Brun, Henriette Campan et Louise de Vilmorin ?
G. H-B. Ces récompenses sont un grand encouragement. Mon travail sur madame de Sévigné se situait en droite ligne de ma réflexion sur l’Épistolaire, mais j’ai cherché à replacer l’épistolière en son siècle, ses relations avec ses contemporains, sa situation économique, ses relations familiales et amicales, son regard sur les questions politiques, sa difficulté à s’approcher de la religion. Grâce à elle, c’est le Grand siècle, dans son entièreté qui se découvre : les Grands, la noblesse parisienne et bretonne, le monde complexe de sa domesticité, les gens simples qui peuplent son domaine des Rochers. Il me semble que les jurys ont été sensibles à l’énergie, au goût pour la jeunesse qui se dégage de la vie de l’épistolière.
HL – Pourriez-vous nous parler de vos prochains projets d’écriture, tant autour de vos recherches personnelles que pour la revue Épistolaire ?
G. H-B. Le prochain numéro d’Épistolaire sera consacrée à George Sand en correspondance. Brigitte Diaz en assurera la coordination. Nous aurons aussi des articles sur Annah Arendt, Barbey d’Aurevilly, Thérèse d’Avila et de nombreux inédits.
Quant à mes projets personnels, ils sont encore en gestation, mais il s’agira sans doute de projets en relation avec l’art et l’éducation des filles, deux domaines qui m’intéressent.
George Sand à l’éventail. Dessin d’Alfred de Musset, 1833 ©RMN/Bibliothèque de l’Institut de France
Propos recueillis par Hélène Montjean