Le mystérieux gros chat de Colette

par Jacques Letertre

 

 La passion de Colette pour les chats est connue : Poucette, Musca, Pérou, Kro, Béri et bien d’autres illuminent son œuvre.
   Elle poussera cette identification jusqu’à jouer elle-même le rôle d’un chat en 1912 dans la « Chatte amoureuse ».

« À l’espèce chat, je suis redevable… d’un grand empire sur moi-même, d’une aversion caractérisée pour les sons brutaux et d’un besoin de me taire longuement.”

   Les chats de sa vie et de son œuvre sont étroitement mélangés. Elle a été élevée dans une maison remplie de chats ; mais au milieu de sa passion pour eux, en particulier pour les chartreux, apparaît en 1921 un gros chat extraordinaire : Bâ-Tou.
   Ce chat particulier n’en est pas vraiment un et celui qui l’a offert est lui-même un personnage hors-norme que Colette appellera le “Seigneur chat” : Philippe Berthelot. C’est d’ailleurs le titre que Jean-Luc Barré retiendra pour l’excellente biographie qu’il lui a consacrée chez Plon en 2022.

 

 

 

 

 

 

 

   Bien oublié aujourd’hui, Philippe Berthelot fut un très grand diplomate. Secrétaire général du Quai d’Orsay de 1920 à 1933, il joua un rôle essentiel dans la conduite de notre politique étrangère et inspira nombres de personnages de romans de Morand à Giraudoux, en passant par Colette elle-même.

 

 

   Dans une lettre de juin 1932 à Hélène Berthelot, Colette écrivait :

 

Oui,je pense bien qu’il se plie mal à toute discipline d’hygiène qui n’est pas celle du « Seigneur Chat ». Mais le Seigneur Chat lui-même aime les prés, leur odeur, et daigne marcher sur ses délicats pieds de chat. Ce qu’il y a, c’est que Philippe est d’une terrible jeunesse, et que son rythme de fauve connaît seulement deux temps : fougue, – immobilité ; – bonds, profond sommeil …  Chère Hélène, voyez combien je me mêle de commenter votre Philippe ! C’est que je ne sais pas aimer peu, et je me demande, – et je vous demande, – si vous viendrez aux Aigues à la fin de l’été ?

 

 

 

 

 

   Ce qui a attiré notre attention sur ce « chat » est une lettre envoyée par Colette à Daniel Langlois -Berthelot, neveu du Seigneur chat, du 3 août 1944 qui figure dans la collection de la Société des Hôtels Littéraires et que nous avons présentée lors de la soirée Colette du 28 janvier 2025 organisée par la revue Épistolaire :

 

« Ce n’était pas un chat, mais un beau petit fauve, grand, comme un chien de chasse, que m’avait donné votre oncle. Un fauve pur, venu du Tchad, avec son caractère intact de fauve, une merveille qui n’avait pas d’ancêtres domestiqués. Que n’ai-je pu le garder. C’était une femelle de 21 mois, magnifique, elle grattait le plat de sciure comme une chatte propre. Dans son pays d’origine, ces charmants fauves mangent les moutons, tout ce qui sentait un peu la laine, la rend folle… »

 

 

 

 

Comme le rapporte Jean-Luc Barré :
« Un matin, Berthelot débarque au ministère tenant en laisse une panthère du Tchad baptisée Bâ-Tou qui partage son bureau au grand émoi des visiteurs.”

 

 

Ce que confirme Colette :
« … Sauvage, innocente, gaie, terrible parfois, elle accourait quand son maître… ouvrait la porte et disait « Viens ». Elle s’asseyait sur le bureau Louis XV et feuilletait de sa sévère patte les documents qui, je veux le croire, intéressaient la paix des peuples… ».

 

Très rapidement, ne sachant la gérer, il la donne à Colette. Dans un premier temps Colette est enthousiaste :

 

« Elle rapprocha ses sourcils à ma vue, sauta à terre et commença sa promenade de fauve… Elle vient du Tchad, me dit son maître, elle pourrait venir aussi de l’Asie, c’est une once, sans doute. Elle s’appelle Bâ-Tou, ce qui veut dire « le chat » et elle a 20 mois. … Elle était grande comme un chien épagneul, les cuisses longues et musclées, attachées à un large avant-train plus étroit, la tête assez petite coiffée d’oreilles fourrées de blanc, peintes au dehors de dessins noirs et gris, rappelant ceux qui décorent les ailes des papillons crépusculaire. Une mâchoire petite et dédaigneuse, des moustaches raides comme l’herbe sèche des dunes.”

 

 

 

 

 

 

   Si Colette eut quelques difficultés à gérer Bâ-Tou, cela ne changea rien à sa dévotion pour les chats, jusqu’à la terrible journée du 12 février 1939 où mourut la plus aimée la chatte dernière, un merveilleux chartreux.
Colette n’aura plus jamais d’autres chats, ni même d’autre animal.

 

Jacques Letertre