Jusqu’au 10 avril 2022, les visiteurs pourront se rendre au Musée Carnavalet – Histoire de Paris admirer la très belle exposition conçue par la conservatrice Anne-Laure Sol à l’occasion de la commémoration du 100e anniversaire de la mort de l’écrivain : “Marcel Proust, un roman parisien.”

Une parfaite opportunité pour le musée de parler d’un illustre parisien dont la chambre figure dans leurs collections depuis 1973 grâce aux dons du collectionneur et bibliophile Jacques Guérin.

L’exposition propose un parcours passionnant qui restitue le Paris de Proust à la Belle-Époque puis celui du Narrateur tel qu’il est raconté dans la Recherche, à travers une grande variété de peintures, de dessins, de photographies ou de vêtements, ainsi que des livres et des manuscrits.

Parmi les collections prêtées par l’Hôtel Littéraire Le Swann, on trouve une série de manuscrits, de livres et de photographies :

 

 

Deux placards manuscrits extraits d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Paris, Éditions de la Nouvelle Revue française, 1920.
Exemplaire 18 / 50. Placards manuscrits, grand in-4 (43,5 x 59,5 cm)
© Hôtel Littéraire Le Swann

 

Légende du cartel au Musée Carnavalet – Histoire de Paris :

« Après la publication de Du côté de chez Swann en 1913, Grasset avait commencé à faire imprimer, en 1914, le second volume de la Recherche, mais la guerre en retarde la publication. Proust en profita pour corriger et augmenter son texte. Pour rendre la nouvelle version plus lisible, Mlle Rallet, la dactylographe de la NRF, eut l’idée de coller sur de grandes feuilles des fragments écrits ainsi que des morceaux d’épreuves. Marcel Proust, séduit par le résultat, lança une souscription pour une édition de luxe des Jeunes filles contenant ces mosaïques manuscrites. »

 

Une des pièces maîtresses de l’exposition est très certainement ces deux placards inédits, insérés dans le volume de l’édition de luxe d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, publié en 1920 aux éditions de la Nouvelle Revue Française, soit deux ans après l’originale

Tirée à 50 exemplaires numérotés sur papier Bible (n° XVIII), cette édition a la particularité d’être la seule édition purement bibliophilique de Proust publiée de son vivant, réimposée dans un inhabituel format in-quarto avec de très grandes marges.

Cette « extraordinaire marqueterie où de larges fragments autographes alternent avec des épreuves, corrigées ou non » a été composée par Mlle Rallet, dactylographe de la N.R.F. Elle morcela ainsi à la fois le manuscrit de Proust, les épreuves corrigées de Grasset (pour l’édition prévue en 1914) et celles de Gallimard (pour l’édition de 1919) en vue de la première édition de ce volume.

Enthousiasmé par le résultat, Proust commente ainsi ces planches : « le manuscrit […] malgré mon affreuse écriture […] est ravissant et a l’air d’un palimpseste à cause de la personne qui le collait avec un goût infini ».

Les placards ont un très grand intérêt pour la compréhension du roman. Dispersés en 1920 au gré des collections, ils comportent des manuscrits uniques de parties du roman dont aucune bibliothèque ne conserve la version manuscrite.

Ceux-ci sont inédits et exploitent le dernier manuscrit que Proust avait envoyé à son éditeur en octobre 1917, celui de la “deuxième partie” du roman, ainsi qu’il appelait celle autour des jeunes filles.

 

 

Charmel, « Différents cris de Paris », 1919, fac-similé d’un document manuscrit, Paris, Hôtel Littéraire Le Swann.
Les cris de Paris, liste dressée par A. Charmel, concierge de l’immeuble 8 bis rue Laurent Pichat, où l’écrivain réside chez Jacques Porel, le fils de l’actrice Réjane, du 31 mai au 1er octobre 1919
© Hôtel Littéraire Le Swann

 

Voici les fac-similés de manuscrits autographes découverts par Bernard de Fallois dans les années 1950 et publiés en 2019 dans le volume du Mystérieux Correspondant et autres nouvelles inédites, avec l’aimable autorisation des éditions de Fallois. Il s’agit de notes de concierge sur les cris de Paris, écrits en 1919 par A. Charmel qui avait été dépêché par Marcel Proust pour cette enquête pittoresque qui devait l’inspirer pour écrire le fameux passage de La Prisonnière, dans lequel le héros et Albertine entendent depuis l’appartement les divers cris des marchants des rues.

Ceux-ci sont aussi variés qu’insolites et charmants :

« A la tendresse, à la verduresse
Artichauts tendres et beaux
Arti-chauts »

ou

« A la romaine, à la romaine !

On ne la vend pas, on la promène. »

 

Anonyme. Une photographie d’Odilon Albaret dans sa voiture, avant 1914
© Hôtel Littéraire Le Swann

 

 

Le Swann possède le fonds des archives de Céleste Albaret et a prêté deux photographies dont ce portrait de Céleste jeune avec une amie daté de 1914  :

 

Anonyme. Portrait de Céleste Albaret (1891-1894) avec une amie, 1914.
© Hôtel Littéraire Le Swann

 

 

 

Un numéro de la revue Le Banquet, publication mensuelle, mai 1892, n°3.
Paris Librairie Briquet – Librairie Rouquette

Revue littéraire fondée en 1892 par Jacques Bizet, Fernand Gregh, Robert Dreyfus, Louis de La Salle, Daniel Halévy, Horace Finaly et Marcel Proust. La revue, à la périodicité mensuelle, plus ou moins respectée, est publiée de mars 1892 à mars 1893.

 

Marcel Proust, Sésame et les Lys. 
Traduction par Marcel Proust de l’œuvre de John Ruskin publiée dans le Mercure de France 1906.
© Hôtel Littéraire Le Swann

 

 

 

Marcel PROUST – [été 1920] lettre à Jean BORDAS ; 4 pages in-8.
© Hôtel Littéraire Le Swann

Un autre prêt important est cette lettre autobiographique inédite, au sujet de la demande de Proust pour la Légion d’honneur. [Proust sera nommé chevalier de la Légion d’honneur par décret du 25 septembre 1920.]

Voici la notice établie par la maison de vente Le Floc’h :

Proust précise avoir reçu la lettre de son correspondant, mais il a « chaque nuit des crises d’asthme si prolongées » qu’il doit, sur ordre du médecin, « à l’aide de médicaments antiasthmatiques garder le lit le jour, et dormir ».

Il donne des renseignements biographiques : « Je suis né le 10 juillet 1871, 96 rue Lafontaine à Auteuil (disons Paris pour simplifier, puisque c’est maintenant le XVIe). Mais je ne suis revenu que depuis peu dans le XVIe. J’ai habité en effet Bd Malesherbes, rue de Courcelles, 102 Bd Haussmann. Ce dernier immeuble où je vivais déjà alité a été transformé par le propriétaire en banque, et j’ai dû à cause de cela le quitter il y a un an ½. »

Le départ a été négocié par son ami le duc de Guiche, et Mme Réjane l’a hébergé six mois rue Laurent-Pichat, et il est maintenant dans un appartement rue Hamelin.

« Je suis licencié es lettres et en droit, j’ai été engagé conditionnel au 76e à Orléans en 1889. Mais plus tard ma santé a nécessité ma réforme qui a été confirmée pendant la guerre ».

Il n’a participé à aucun bénéfice de guerre. Son frère le docteur Proust a été « chirurgien en chef de la 10e armée. Je suis homme de lettres. J’ai obtenu au mois de Décembre dernier le Prix Goncourt. J’ai appris que des écrivains des partis les plus opposés », Léon Daudet, Léon Blum, Maurice Barrès, Robert de Flers, etc. « avaient demandé pour moi la croix » au ministre de l’Instruction publique. Il ajoute qu’il n’a « jamais subi de condamnation ; pas même de punition au régiment », et qu’il a déjà rempli une feuille pour le chef de cabinet du ministre. Il fait suivre sa signature de tous ses prénoms : « Valentin, Louis, Georges, Eugène, Marcel Proust », et ajoute que feu son père, qui était “professeur à la Faculté de médecine, passait tous les ans plusieurs mois dans le XVIe arrondissement en ce même 96 rue Lafontaine.”

 

Il reste à découvrir qui était ce Jean Bordas, sans doute un haut fonctionnaire de l’époque, mais nous n’en savons pas davantage pour le moment.

 

Hélène Montjean