Le 3 étage évoque les chapitres d’Une saison en enfer, comme « Jadis si je me souviens bien… » et quelques textes du recueil des Illuminations, comme « Aube » et « Génie ». Au 4e, vous accédez aux chambres de l’entourage du poète, depuis ses sœurs Vitalie et Isabelle à Georges Izambard ou Paul Verlaine. Le 5e étage vous emporte dans les voyages de Rimbaud, de Charleville à Aden en passant par Londres, Bruxelles et Harar.
Chaque chambre arbore une aquarelle originale signée de l’artiste Jean Aubertin qui réinterprète le poème ou le texte choisi afin d’en donner une vision contemporaine et personnelle. Il ne vous reste qu’à saisir le recueil des œuvres de Rimbaud, préfacées par René Char, disponible sur votre table de chevet et vous laisser guider par les mots et les sonorités du poète ; vous serez alors presque certains d’avoir « trouvé le lieu et la formule. »
Côté petit déjeuner, l’architecte Aude Bruguière, déjà à l’œuvre dans les autres Hôtels Littéraires, propose de se plonger dans l’atmosphère d’un bar d’époque, aux miroirs et aux poutres savamment usées. Le papier peint décoré de singes évoque « les sujets très naïfs de la tapisserie » et l’atmosphère d’un bonheur retrouvé dans l’antiquité païenne et primitive.
On y retrouve forcément une fontaine à absinthe et tous les ustensiles nécessaires pour mériter le titre flatteur d’« Académie d’Absomphe ». Des reproductions des dessins d’Ernest Delahaye – l’ami d’enfance de Charleville – et de Paul Verlaine, aimablement permises par la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, livrent une sorte de bande dessinée avant la lettre, choisies d’après le thème de la boisson – et il y en a beaucoup.
Le clou du spectacle est sans aucun doute le Rimbaud d’Ernest Pignon-Ernest, rescapé de sa campagne d’affichage Street-Art de 1978 sur les murs de Paris, puis de Charleville. Sa sérigraphie sur papier journal a conservé l’aspect éphémère souhaité par l’artiste, dont la gentillesse n’a d’égale que l’immense talent.
Les bibliothèques présentent la collection privée réunie par Jacques Letertre de l’ensemble des éditions originales rimbaldiennes, depuis Une saison en enfer (1873), l’unique livre publié par Rimbaud de son vivant, aux Illuminations (Mercure de France, 1898). Les tirages de tête des œuvres de Paul Verlaine se mêlent au manuscrit des poèmes de Rimbaud nouvellement édité par les Editions des Saints-Pères.
La reliure de création complète l’ensemble, avec l’édition originale de Rimbaud le fils de Pierre Michon, superbement relié par l’artiste Nobuko Kiyomiya : « Plats de veau noir entièrement recouverts d’un décor finement martelé selon trois orientations ; titre de l’ouvrage en italiques poussées à l’œser marron-gris sur une pièce de box lilas, dos de peau de serpent lilas, doublures et gardes de papier japon mordoré. »
La réception dévoile une atmosphère légère et printanière, avec ses fresques d’épis de blé et ses tapis aux motifs floraux inspirés de Van Gogh. Contemporain de Rimbaud et peintre maudit comme le poète, il est mort également à 37 ans. On dit qu’ils fréquentèrent à plusieurs reprises et au même moment certains quartiers de Londres ; et il n’est pas impossible qu’ils se rencontrèrent.
On retrouve à nouveau des dessins issus du fonds de la Bibliothèque Jacques Doucet ; le portrait de Rimbaud par Paterne Berrichon jouxte le portrait de Rimbaud à la tête rasée d’Ernest Delahaye intitulé « La tronche à machin », à l’occasion de l’enterrement de sa jeune sœur Vitalie en 1875, qui vit simultanément son arrêt définitif de l’écriture et son départ.
En revenant du côté de la bibliothèque aux 500 livres, multilingue et accessible en livres de poche pour tous les visiteurs, on se retrouve sous un curieux plafond peint lumineux aux motifs célestes et contemporains ; des constellations lorsqu’on est un peu loin, plutôt des symboles rimbaldiens quand on se rapproche, mais c’est bien une interprétation du « Bateau ivre » selon la citation voisine. Jean Aubertin propose-là une superbe entrée en matière après son portrait de Rimbaud inspiré de Carjat sur les murs de l’hôtel.
Il n’y a plus qu’à se laisser porter par le souffle de la poésie et de l’alchimie du verbe :
« Il nous a connus tous et nous a tous aimés. Sachons, cette nuit d’hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour. »
« Génie » Illuminations.